Si je t’oublie, Alexandrie...

 

Source : L’Ordre du discours par Michel Foucault, éditions Gallimard.

Le commentaire n’a pour rôle, quelles que soient les techniques mises en œuvre que de dire enfin ce qui était articulé silencieusement là-bas. Il doit, selon un paradoxe qu’il déplace toujours mais auquel il n’échappe jamais, dire pour la première fois ce qui cependant avait déjà été dit et répéter inlassablement ce qui pourtant n’avait jamais été dit.

Le moutonnement indéfini des commentaires est travaillé de l’intérieur par le rêve d’une répétition masquée : à son horizon, il n’y a peut-être rien d’autre que ce qui était à son point de départ, la simple récitation. Le commentaire conjure le hasard du discours en lui faisant la part : il permet bien de dire autre chose que le texte même, mais à condition que ce soit ce texte même qui soit dit et en quelque sorte accompli. La multiplicité ouverte, l’aléa sont transférés, par le principe du commentaire, de ce qui risquerait d’être dit, sur le nombre, la forme, le masque, la circonstance de la répétition. Le nouveau n’est pas ce qui est dit, mais dans l’événement de son retour.

Jeu à la Borges d’un commentaire qui ne sera pas autre chose que la réapparition mot à mot, mais cette fois solennelle et attendue, de ce qu’il commente ; jeu encore d’une critique qui parlerait à l’infini d’une œuvre qui n’existe pas. Rêve lyrique d’un discours qui renaît en chacun de ses points absolument nouveau et innocent, et qui reparaît sans cesse, en toute fraîcheur, à partir des choses, des sentiments ou des pensées. Angoisse de ce malade de Janet pour qui le moindre énoncé était comme « parole d’Evangile », recelant d’inépuisable trésors de sens, et méritant d’être indéfiniment relancé, recommencé, commenté : « Quand je songe, disait-il, dès qu’il lisait ou écoutait, quand je songe à cette phrase, qui va encore s’en aller dans l’éternité et que je n’ai peut-être pas tout à fait comprise. »

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