Paréidolie

 

Source : Turbulences dans l’univers, Dieu, les extraterrestres et nous, par Jacques Arnould, éditions Albin Michel, relecture en cours.

Sous l’impulsion de Percival Lowell, la bataille des canaux de Mars est devenue celle de l’existence d’une vie intelligente à la surface de la planète rouge. Et découvrir les preuves d’une telle existence, dans les gigantesques canaux qu’il est parvenu à décrire [à la suite de Shiaparelli] constitue pour Lowell une expérience psychologique, avant d’être un défi philosophique.

Si le public paraît s’emballer pour la thèse de Lowell, la communauté scientifique est davantage partagée. En 1907, Schiaparelli lâche Lowell ; A. E. Douglass, un de ses collaborateurs, finit par parler « d’illusion des canaux » ; Eugène Antoniadi, un collaborateur de Camille Flammarion et un partisan des canaux martiens, fait de même. Nombreux sont ceux à se rallier à la théorie dite optique : les canaux ne seraient que des lignes idéales réunissant des taches disparates ; lorsque les instruments utilisés sont plus puissants, les « lignes » disparaissent pour devenir un essaim de points et de taches.

Même si les photos doivent être interprétées, car aucun canal n’apparaît clairement. L’affaire des canaux martiens, concluent les adversaires de Lowell, relève de l’ordre de la croyance. Qui croit aux canaux peut les voir, sur les photos comme sur l’image télescopique ; qui n’y croit pas ne voit que des points et des taches irrégulières. Bref, les canaux de Mars sont une illusion d’optique, déterminée par une attitude mentale, un préjugé favorable à l’existence des canaux, à l’existence d’une humanité martienne.

Les arguments contre l’hypothèse de Lowell s’accumulent : selon G. Johnstone Stoney, la glace des pôles martiens n’est pas une glace d’eau mais de la neige carbonique ; dans de telles conditions, surenchérit Alfred Russel Wallace, l’idée d’une humanité martienne est inconcevable. D’autres chercheurs, comme Ludwig Kahn, estiment que Mars, loin d’être un monde ancien, serait plutôt un monde plus jeune que la Terre, dont les canaux seraient couverts d’une végétation proche de celle du Carbonifère terrestre.

En 1910, la bataille prend fin. Les fantastiques canaux de Mars perdent leur statut d’hypothèse, pour entrer dans le vaste réservoir des illusions et des mythes, comme l’écrit Antoniadi, en guise d’épitaphe : « De lourds volumes seront sans doute écrits pour enregistrer la découverte de nouveaux canaux, mais les astronomes du futur se moqueront de ces extravagances ; et l’erreur des canaux, après avoir été considérée comme un progrès durant un tiers de siècle est condamnée à être reléguée parmi les mythes du passé. »

Et les habitants de Mars ? Les Terriens peuvent-ils aisément admettre leur existence ? Leur puissance, digne de « déplacer des montagnes » n’est-elle pas un réconfort pour les habitants de la Terre ? S’ils n’existaient pas, ne faudrait-il pas les inventer, tant ils rendent possible et justifient, anticipent et confirment nos rêves et nos projets d’avenir ?

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