Baudelaire est éminemment un de ces esprits, je les
nomme gnostiques, qui se laissent irrésistiblement envahir par des imaginations
d’autres mondes. Ces plus hauts niveaux de réalité, délivrés des entraves de la
matière, c’est ce qu’il nomme, lui, l’idéal, et un « là-bas », aux
confins entre terre et rêve, où tout est « ordre et beauté. » Et
Baudelaire est aussi un auteur qui abonde en allégories. On en rencontre à
chaque pas, ou presque dans l’étroit espace de son grand livre. Le poète des Fleurs
du mal est assurément un de ces espérants dont la foi défaille et qui a
besoin de la promesse des allégories qu’il découvre dans des statues, des
tableaux, ou qu’il élabore dans ses poèmes, pour continuer à supporter les
misères de son exil, cet abaissement qui n’est pas pour lui une simple
expérience métaphysique. Est-il donc un de ces rêveurs qui, sans atteindre à plus,
emploient l’allégorique pour « fuir, là-bas fuir », comme écrira un
autre poète, qui n’aimait Baudelaire que comme « prince du rêve. »
Yves Bonnefoy : Le Siècle de Baudelaire
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