Plutôt que de prendre la parole, j’aurais voulu être enveloppé par elle, et porté bien au-delà de tout commencement possible. J’aurais aimé m’apercevoir qu’au moment de parler une voix sans nom me précédait depuis longtemps : il m’aurait alors suffi d’enchaîner, de poursuivre la phrase, de me loger, sans qu’on y prenne bien garde, dans ses interstices, comme si elle m’avait fait signe en se tenant, un instant, en suspens. De commencement, il n’y en aurait dont pas ; et au lieu d’être celui dont vient le discours, je serais plutôt au hasard de son déroulement, une mince lacune, le point de sa disparition possible.
J’aurais aimé qu’il y ait derrière moi
(ayant pris depuis longtemps la parole, doublant à l’avance tout ce que je vais
dire) une voix qui parlerait ainsi : « Il faut continuer, je ne peux
pas continuer, il faut continuer, il faut dire les mots tant qu’il y en a, il
faut les dire jusqu’à ce qu’ils me trouvent, jusqu’à ce qu’ils me disent,
étrange peine, étrange faute, il faut continuer, c’est peut-être déjà fait, ils
m’ont peut-être déjà dit, ils m’ont peut-être porté jusqu’au seuil de mon
histoire, devant la porte qui s’ouvre sur mon histoire, ça m’étonnerait si elle
s’ouvre. »
Il y a chez beaucoup, je pense, un
pareil désir de ne pas avoir à commencer, un pareil désir de se retrouver,
d’entrée de jeu, de l’autre côté du discours, sans avoir eu à considérer de
l’extérieur ce qu’il pouvait avoir de singulier, de redoutable, de maléfique
peut-être.
Michel Foucault : L’Ordre du discours
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