Source : Spinoza, l’autre voie par Blandine Kriegel, éditions du Cerf, collection Philosophie Lexio.
Pour
Hobbes, le droit naturel, défini au chapitre XIV du Léviathan, est la
liberté qui pousse chaque individu à aller jusqu’au bout de sa puissance
c’est-à-dire jusqu’à tuer son voisin. On voit qu’il s’agit de l’exact contraire
de la norme morale tirée du Décalogue : « Tu ne tueras point. »
Sans doute Hobbes se garde-t-il de réduire la nature humaine à ce droit naturel
parce que, dit-il, la nature humaine est dominée par la crainte de la mort et
que son désir principal (impetus) est d’assurer sa survie.
Or,
à l’état de nature où la vie humaine est besogneuse, incertaine et fragile, la
liberté de la vie n’est pas assurée. Au-delà de la liberté s’impose donc une
obligation, c’est-à-dire « une loi de nature, un précepte, une règle
générale découverte par la raison par laquelle il est interdit aux gens de
faire ce qui conduit à la distinction de leurs vies, ou leur enlève le moyen de
la préserver. » Le droit naturel est une liberté, la loi de nature est un
commandement. Le motif qui pousse chacun à ne pas attenter à sa vie est
l’impératif d’assurer sa survie.
Le
mobile du Pacte consistera alors en une aliénation complète de tout le droit naturel
par le souverain, à l’exception du seul droit inaliénable à la sûreté. De cette
division entre loi naturelle et droit naturel découle un dualisme nettement
dessiné et fermement assuré qui sépare l’état de nature de l’état civil. La
civitas, le Commonwealth, constitue une sorte de deuxième monde,
artificiellement créé par une convention et régi par la volonté du souverain.
La métamorphose mécaniste utilisée par Hobbes pour représenter le Léviathan
comme une grande machine animée conduit la vie humaine à ressembler, plus
souvent qu’à son tour, à celle d’un automate.
Tout
naturellement, le pouvoir souverain est remis à un monarque qui, à l’exception
de la sûreté, concentre tous les pouvoirs et notamment celui de juger, de
penser, ce qui exclut le droit à la liberté de conscience.
Dans
sa critique du droit naturel selon Hobbes, Spinoza joue d’une double
argumentation : 1) il emprunte à Hobbes l’idée d’un droit naturel qui est
puissance des individus mais se démarque de lui en ne le considérant pas comme
une liberté 2) il est estime que cet état de nature est un état de fait qui ne
doit pas être condamné mais compris et que l’état civil transforme sans abolir.
Le Pacte civil est une promesse qui engage l’avenir, et non seulement un contrat d’échange instantané des pouvoirs. Mais Spinoza admet parallèlement « qu’un Pacte ne peut avoir de force qu’eu égard à son utilité. » Autrement dit, le motif et l’origine du Pacte repose sur la recherche d’un « plus utile », d’un plus grand bien. Il ne faut donc pas se limiter à réfléchir au début du Pacte, mais s’inquiéter de sa fin et il ne faut pas s’enfermer dans la seule ouverture de la société civile, mais envisager sa fermeture et imaginer, à côté du motif de sa construction, sa destruction, bref, imaginer sa durée, la temporalité du Pacte.
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