« Il est cool, faut croire que de tout il en a rien à cirer »

 

Source : Spinoza, l’autre voie par Blandine Kriegel, éditions du Cerf, collection Philosophie Lexio.

À ses contemporains, Spinoza apparut peu à peu comme un homme étonnant… admirable pour ses amis, inquiétant pour ses ennemis, paradoxal s’il en était. Sans ostentation aucune, il était d’un abord simple et modeste. « La science des choses authentiquement réelles, jointe à une bonté et à la distinction des mœurs, sont des qualités dont la nature et la réflexion vous ont largement pourvues » lui reconnut d’emblée Henry Oldenburg. (Lettre I) Toujours courtois, il faisait habituellement preuve d’une politesse chinoise. Recherchant la quiétude nécessaire à ses réflexions, il encourageait volontiers ses hôtes à persévérer dans leur propre religion.

Mais, il était également fier, indomptable, farouche devant le rejet et l’insulte. Alors, là, intraitable, il montrait sa nature véritable : « Un philosophe qui croyait que sa doctrine est la vraie philosophie sans avoir foi au Christ » comme le lui reprocha Albert Burgh, joignant l’insulte à l’outrage : « Misérable être vil, pâture des vers… » « Lettre LXVII) Lorsque Burgh lui cracha littéralement que la foi chrétienne était prouvée par des millions de martyrs et qu’une punition implacable avait réduit les juifs au dernier degré de la misère et de l’abandon, Spinoza, comme l’a souligné R. Misrahi, répondit orgueilleusement que la nation juive avait compté plus de martyrs que quiconque et il ajouta : « J’ai connu moi-même un certain Judas, dit le Fidèle, qui s’est mis à chanter au milieu des flammes alors qu’on le croyait mort, l’hymne À toi, mon Dieu, j’offre mon âme. Il est mort en chantant. » (Lettre XXVI)

Autrement dit, il ne cédait rien ni sur sa judéité, ni sur sa conviction de philosophe, ni davantage sur son admiration illimitée pour la « sagesse » du Christ qui avait voulu inscrire la loi dans le cœur humain. Entouré de la scandaleuse rumeur de n’être qu’un athée, il vécut au milieu de l’incompréhension, des réfutations et même des injures.

Pour le dire simplement, Spinoza, venu du marranisme, refusa de jouer double jeu, en se faisant passer pour un chrétien, tout en demeurant juif. Profondément imprégné par la théologie et la pensée juive, formé à la politique et à la science même, il devint le premier juif laïque et d’abord un philosophe. Spinoza avait été particulièrement sensible à l’Épître aux Corinthiens de saint Paul dont les membres de son cercle de collégiants avaient fait leur devise et qui recommandait que chacun puisse entrer et prendre librement la parole.

Spinoza, étiqueté judaeus et atheistum, juif et athée, fit l’expérience de la minorité de pensée et de l’incompréhension. Il savait aussi que la minorité d’hier peut avoir raison et qu’elle peut devenir la majorité de demain. Il n’y a toujours qu’un seul moyen pour en décider, la liberté de conscience et la libre discussion entre personnes, qui, au départ, ne sont pas d’accord. En des temps de cloisonnement, d’ostracisme ou de repli, il proclama : « Il n’y a rien à quoi je donne une importance plus grande que l’amitié des hommes aimant sincèrement la vérité. » (Lettre XX) Lorsque cette condition n’était pas remplie, il rompait sans plier. Tous ces détails sont connus.

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