Globalisierung

 

Source : Le perdant radical, essai sur les hommes de la terreur, par Hans Magnus Enzenberger

Le nombre de perdants de la mondialisation ne se limite pas à augmenter chaque jour ; comme dans toute masse considérable, un fractionnement se produit ; au cours d’un processus chaotique et obscur, les cohortes de déclassés, de vaincus et de victimes se séparent. Le raté se résigne à son sort, la victime demande réparation, le vaincu se prépare au prochain round. Le perdant radical, en revanche, prend un chemin distinct, il devient invisible, cultive ses obsessions, accumule de l’énergie et attend son heure.

Peut-être faudrait-il jeter un coup d’œil à son antipode, le gagnant radical. Lui aussi est un produit de ce qu’on appelle la mondialisation et bien qu’il n’existe pas de symétrie entre ces deux groupes, ils présentent certaines caractéristiques communes. Le maître de l’univers économique surpasse tous ses prédécesseurs en termes de pouvoir et de richesses et il est lui aussi isolé d’un point de vue social ; en règle générale, il perd aussi le sens des réalités, et se sent tout aussi menacé. Mais il serait vain d’expliquer ces contradictions en recourant à des théories de classes. Celui qui se contente de critères objectifs et matériels, des données des économistes et des empiristes, ne comprendra rien au perdant radical.

Ce dernier est presque toujours un homme. En général, il se prévalait d’une supériorité qui, dans le passé, était considérée comme allant de soi et il ne peut se résoudre au fait que cette prédominance a pris fin. Il éprouve un mal infini à digérer cette perte de pouvoir. Un homme qui se sent comme un perdant radical aura une perception exacerbée de sa déchéance, considération souvent plutôt étrangère aux femmes.

Toutefois, ce que les autres pensent de lui, qu’il s’agisse de concurrents, d’experts, de voisins, de ses supérieurs, de journaux, d’amis, d’ennemis, ne suffit pas à radicaliser le perdant. Lui-même doit apporter sa pierre à l’édifice. Il doit se répéter : je ne suis rien d’autre qu’un perdant. Tant qu’il n’en est pas persuadé, il peut bien être dans la difficulté, être pauvre, impuissant, connaître la misère et l’échec, mais il ne deviendra un perdant radical que lorsqu’il aura repris à son compte le jugement des autres, ceux qu’il tient pour des gagnant. Et c’est seulement à ce moment-là qu’il « pète les plombs. »

Commentaires