DouSSeur de vivre

 

Le langage étouffe les existences. Avec ses concepts, abstractions, qui ne s’enchaînent qu’en nous privant de l’expérience de l’être, il oblige à rêver, et c’est refermer chacun de nous sur son rêve, c’est nous vouer à la solitude, bientôt à l’oubli des autres en ce lieu qui est pourtant celui d’une misère commune, à affronter en commun. Un tel dispositif, le langage pourrait bien avoir inventé le diable, cet ennemi de notre présence. À moins qu’il n’ait été lui, Lucifer, sa première victime, un premier poète ? Sachant toujours bien ce qu’il fait, comme le constate Baudelaire, peut-être n’aurait-il machiné au sein des mots l’allégorie et son liseré de mirage que pour revivre amèrement et sans fin, par la voie des êtres humains, ses semblables, ses frères, sa désillusion du premier jour.

Yves Bonnefoy : Le Siècle de Baudelaire

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