Source : Le Siècle de Baudelaire par Yves Bonnefoy, éditions du Seuil, collection La Librairie du vingt-et-unième siècle.
Dans L’Invitation au voyage sont perceptibles
des signes qui, au regard des écrits d’autres auteurs, sont inquiétants autant
qu’inusuels. Le loup qui dans La Mort du loup défend ses petits, et donc
a procréé et a vécu avec conviction dans sa sorte de monde est un être comme
Vigny aimerait en être un, et ce fait signifie que le poète ne met nullement en
doute que l’allégorie lui permette de convoquer sur sa scène des existences à
même niveau que la sienne : le loup et l’agneau de la fable ayant
simplement pour être à déplier des virtualités inscrites dans leur figure.
L’allégorie est employée de manière non critique ; Vigny la tient sans
trop y penser pour un filtre laissant passer sans les déformer des perceptions
de choses ou de personnes.
En revanche, chez Baudelaire, qu’est-ce au juste que
cette « sœur » ? Dans l’ambiguïté inhérente aux allégories,
« mon enfant, ma sœur », est-elle du côté de la signification qui s’y
cache ou de celui des personnes ou des objets qui donnent corps à cette
dernière ? En fait, décidée, dessinée par Baudelaire, soumise à son idée
de la vie, autorisée à l’éros, mais non à l’enfantement, il est clair
qu’elle n’est qu’un fantasme de son désir et non la sorte d’existence estimée
actuelle et complète. Et il y a là de quoi inquiéter… Au moment où
l’allégorique lui donne l’espoir de « changer la vie », Baudelaire
peut constater qu’il le laisse se détourner de la solidarité dont il devait
faire preuve à l’égard de ses compagnon d’exil. La « sœur » dans ce
poème du vivre ensemble ?
Nullement un vrai interlocuteur, rien que l’invention, toute mentale, d’un égocentrisme à finalité narcissique. Le mirage d’une réalité d’essence plus haute n’a pas aidé le dévot de l’Idéal à se désaliéner de cet ancrage dans soi qui est le pire des maux de l’existence en exil. Peut-être même, on peut bien le croire, l’a-t-il facilité si ce n’est causé.
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