Source : Sabbataï Tsevi, le messie mystique, 1626-1676, par Gershom Scholem, éditions Verdier, collection Poche, relecture 2010-2024, un livre essentiel.
Quand
Sabbataï trouva closes les portes de la synagogue, il envoya chercher une hache
et brisa lui-même les portes. La foule ravagea la synagogue mais Hayim Pena
s’était pendant ce temps enfui par le toit ou par une fenêtre. La synagogue,
probablement la plus importante de la ville, se remplit de Disciples de
Sabbataï et fut la scène d’un étrange cérémonial. La liturgie qui suivit
l’occupation est décrite dans le récit de R. Samson Bacchi. Les documents
concernant le sermon prononcé par Sabbataï à cette occasion diffèrent dans les
détails, peut-être confondaient-ils ou combinaient-ils des propos tenus à
diverses occasions, mais la teneur générale semble bien connue.
Après
la lecture de la Torah, sur un livre imprimé et non sur des rouleaux, Sabbataï
plaça les mains en coupe autour de sa bouche et trompeta aux quatre vents.
Cette action, d’inspiration kabbalistique, à l’exemple de la sonnerie de la
corne de bélier le jour du nouvel an, qu’elle imitait, avait pour but de
confondre Satan et d’affaiblir le pouvoir des qlippoth. Puis, il exposa
les raisons kabbalistiques de la désécration qu’il avait accomplie le Sabbat
précédent : « Il est temps d’œuvrer pour le Seigneur et c’est
pourquoi la Loi peut être transgressée. »
En
brisant les portes de la synagogue, « de nombreuses qlippoth, des forces
maléfiques furent cassées, cela est un profond mystère » (Frances) Il insulta
les rabbins, les traitant d’infidèles et cinq d’entre eux en particulier. Comme
Lapapa n’était pas présent, Sabbataï ne s’étendit pas sur son cas, mais il
compara les quatre autres dont R. Hayyim Benveniste, aux animaux impurs
mentionnés dans la Bible. Chacun devait être nourri avec l’animal lui correspondant,
de sorte qu’il mangerait sa propre chair. Benveniste fut comparé à un chameau,
les autres à un lièvre, à un cochon et à un lapin. Sabbataï menaça également de
les excommunier et ne le fit pas uniquement par respect pour le jour du Sabbat.
Non
content d’insulter les rabbins, il médit de leurs prédécesseurs. Selon Coenen,
il s’exclama : « Qu’avait fait Jésus que vous l’ayez ainsi
maltraité ? Je veillerai à ce qu’il soit compté parmi les
prophètes. » Sur ce point, le récit du pasteur protestant est peut-être
sujet à caution. Nous savons néanmoins que la personne de Jésus était très
présente à l’esprit de Sabbataï : il imitait certains de ses actes et se
livrait à des spéculations sur son tikkoun. Il était fasciné par le rapport
entre l’âme de Jésus et celle du vrai messie, à savoir lui-même.
Il
a pu prononcer des paroles en ce sens à cette occasion et il n’aurait pas été
le premier sectateur juif à reconnaître Jésus comme un vrai prophète. Ainsi,
Abou Issa, au septième siècle, avait fait la même chose. Il est possible que
Sabbataï ait mentionné Jésus et déclaré quelque chose au sujet du tikkoun, de
son âme, dans le style des exposés de Nathan. Ses propos, plutôt inquiétants,
auraient été alors mal rapportés et Coenen les recueillit un an après, ou
peut-être immédiatement après l’événement, dans une version populaire et
dénaturée. Nous ne devons pas nous étonner si Coenen s’extasie à propos des
paroles de Sabbataï ou s’il regrette que le reste du sermon n’ait pas été d’un
niveau aussi élevé.
Puis, Sabbataï parla du messie de la Maison de Joseph à propos duquel, semble-t-il, il avait souvent été interrogé. Si le messie de la Maison de David était déjà là, où était son prédécesseur, celui qui devait mourir dans les guerres messianiques ? Sabbataï répondit par une de ses élucubrations bien spécifiques : le messie ben Joseph était déjà venu en la personne d’un certain R. Abraham Zalman et était mort en martyr lors des massacres de 1648 en Pologne. Sabataï lui rendit un grand hommage en récitant pour lui la prière pour les défunts et tout le monde s’en émerveilla. »
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