Source : Gogol et le Diable par Dimitri Merejkowski, traduit du russe par Constantin Andronikoff, éditions Gallimard, relecture mars 2007-décembre 2023.
Que signifient cette grisaille de pluie, ce mur de
brume terne, endormante, comme un mur de cendres grises dressé entre le
christianisme de Gogol, peut-être même tout notre christianisme, et le vrai
Christ.
« L’adolescent de Nazareth ? » N’est-ce
pas le mur des « 1847 années » du christianisme historique ? Car
Gogol, à cause de son christianisme avait renoncé à la terre, maudit la
terre ; n’est-ce pas pour cela que même en Terre sainte, il ne s’aperçut
pas de ce qu’il foulait une terre sainte ? Il ne cherchait sur terre que
le ciel et ne trouva ni ciel ni terre ; il ne trouva que ce qui se trouve
éternellement entre le ciel et la terre : le brouillard gris et froid, la
cendre éteinte et grise du christianisme qui n’a pas réussi.
Gogol à Nazareth, pays de l’Annonciation, où pour la
première fois, le ciel s’est fait terrestre et la terre est devenue céleste,
surpris par la grisaille boueuse, « comme si cela s’était passé en Russie
dans une gare », contemplant « les corneilles et les corbeaux
trempés », « le ciel larmoyant, sans éclaircie » et ne pleurant
même pas, mais bâillant, « ce monde est bien ennuyeux » ;
n’est-ce pas le symbole de tout le christianisme contemporain, moyen, ni froid,
ni chaud, juste tiède ; ni noir, ni blanc, juste gris, ni dansant, ni
pleurant, juste bâillant ?
« Et si la terre se consume d’une incompréhensible angoisse, la vie devient plus sèche et plus sèche, tout diminue et se rapetisse ; et ne s’élève aux yeux de tous que la seule gigantesque figure de l’ennui, atteignant chaque jour une taille démesurée. Tout est sombre, la tombe est partout. Dieu ! Ton monde devient vide, et effrayant ! » Immense ennui, torpeur, engourdissement, bâillement, plus terribles que le désespoir le plus insensé, envahissent de plus en plus Gogol à son retour en Russie, dans les trois ou quatre dernières années de sa vie.
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