Source : Voir l’invisible, histoire visuelle du mouvement merveilleux-scientifique (1909-1930) par Fleur Hopkins-Loféron, éditions Champ Vallon, collection Détours.
Peter Greimer, dans son article « Qu’est-ce qui ne
fait pas image ? » s’attarde sur le système de transcription des
pensées employé par Baraduc, Darget ou encore Julian Ochorowicz, qui consiste
en une plaque posée sur le front du cobaye. Cette technique, qui ne nécessite
ni instrument de mesure, ni intervention du préparateur, relève de ce que
Clément Chéroux appelle la « fautographie. » L’impression de la
pensée est parfois difficile à distinguer de l’accident photographique et seule
la connaissance du pseudo-savant distingue une pensée… d’une simple tache.
C’est précisément cette difficulté que développe le
roman La Lumière bleue (1930) d’Henri Boo-Silhen et de Paul Féval fils
(1860-1933), fils du célèbre romancier éponyme. La Lumière bleue raconte
les expériences du docteur Surgères, parvenu à impressionner les pensées,
lesquelles se présentent sous la forme d’un langage idéographique. Les auteurs
s’inspirent peut-être du récit de photographies cérébrales de George Rockwood,
rapporté par Georges Vitoux en 1896. Dans ce dernier, un photographe réalise
quelques clichés microphotographiques d’un cerveau et trouve des hiéroglyphes à
la surface de l’organe du défunt, féru d’égyptologie, comme si l’objet des
recherches du cadavre avait changé la structure de son cerveau.
Dans La Lumière bleue, l’impression se fait de
même sous la forme de « signes idéographiques », mais cette condition
semble partagée par l’humanité entière, dotée d’un langage cérébral universel,
qui dépasserait les barrières des langues et des dialectes. Si les auteurs du
roman font peu de cas de cet universalisme, qui rappelle la langue construite
de l’Esperanto, ils soulignent que le savant est le seul capable de déchiffrer
la suite des signes : « Je notais des virgules, des points, des
barres, des paraboles, puis des arabesques bizarres, des perles, des ondes, des
tresses, des sortes de godrons doubles, des fleurs étranges, des caractères
capricieux n’appartenant à aucun alphabet, des éclatements imprévus, toute une
gamme de rayures, de croix, de pointillés et de semis… »
Le savant emploie un rayonnement coloré bleu vif pour
imprimer les pensées sur des plaques de platinocyanure de baryum. Son emploi
n’est pas innocent. Bien qu’il n’y soit aucunement fait référence dans le
texte, c’est le même type de plaque que René Blondlot et Augustin Charpentier
ont utilisé pour visualiser les émanations fluidiques humaines en 1903, à
l’aide de prétendus rayons N. C’est aussi ce corps luminescent qui est utilisé
pour les revêtements d’écrans radioscopiques.
Les recherches imaginaires de Sugères ont d’abord été
motivées par la captation des effluves humains et autres émanation de force
odique, dans la droite lignée de celles d’Hippolyte Baraduc et de Jules Bernard
Luys, puis il a voulu approfondir ses travaux en essayant de capter une autre
manifestation invisible : les pensées. Ils se déroulent en plusieurs
étapes, comme chez Raoul Bigot (visualisation du phénomène, retranscription
codée par le savant, traduction du code) Capable d’abord d’enregistrer les
radiations et de leur assigner une identité électrochimique associée à un
sentiment précis, il entreprend d’affiner son appareil de mesure afin
d’identifier une pensée.
Sa recherche vise sensiblement à la réalisation d’un tableau périodique de la pensée, comparable à celui du chimiste russe Dimitri Mendeléïev qui associe à chaque élément sa propriété chimique ou, ici, une forme donnée à un mot : « Le substantif ‘science’ par trois parallèles ; le nom propre Napoléon par trois points en ligne droite, soulignés d’un trait et ainsi de suite.
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