Source : Le Livre de tous les livres par Roberto Calasso, éditions Gallimard.
La souveraineté royale échut à Israël comme une sombre
nécessité au cours du temps. Quelque chose de trouble, de convulsif, d’opaque,
accompagna ce pouvoir dans ses premières manifestations, chez Saül et David.
Quoi qu’ils fissent, les conséquences que cela entraînait étaient funestes. Et
il s’agissait parfois de tentatives d’obéir à des injonctions de Yahvé. Le
grincement le plus fort eut lieu à l’occasion du recensement. Yahvé l’avait
ordonné avec des mots impérieux : « Va, fais le recensement d’Israël
et de Juda » Mais pour quelle raison Yahvé avait-il voulu ordonner le
recensement ? « La colère de Yahvé s’enflamma encore contre les
Israélites et il excita David contre eux. » Le recensement était donc un
grand mal à travers lequel Yahvé avait voulu frapper les Hébreux.
C’était une façon de les obliger à être coupables.
David avait aussitôt obéi, bien que Joab, le chef de l’armée, lui eût fait
remarquer que cette entreprise avait un caractère impie. A double titre. Toute
énumération signale un vivant aux puissances du mal, en l’isolant comme cible.
C’est donc une invitation au meurtre. En outre, étant donné qu’aucune
énumération ne peut être complète, ce qui lui échappe devient un danger.
C’est ainsi qu’un jour un enfant né dans le lieu même
où David avait grandit échapperait à un recensement et par conséquent à l’ordre
en vigueur. Mais l’œil de David ne pouvait aller si loin. Il ne voulait
qu’obéir à Yahvé. Neuf mois et vingt jours plus tard, quand le recensement fut
achevé et que les chiffres, faux, lui furent remis, David sentit que cette
entreprise était une abomination. Il tenta d’obtenir le pardon de Yahvé pour
lui avoir obéi, mais il savait que c’était inutile.
Dès le matin suivant, le voyant Gad lui apparut pour
lui transmettre la parole de Yahvé. Il y avait trois possibilités et la liberté
de choix était accordée à David. Sept ans de famine ou trois mois de défaite
par la main des ennemis ou trois jours de peste. David répondit aussitôt qu’il
valait mieux mourir de la main de Yahvé que de la main des hommes. Il choisit
la peste. Ils furent soixante-dix mille à mourir.
Ce fut alors que David vit un Ange descendre du ciel, l’épée dégainée dont il transperça quatre de ses fils. « Ils sont à présent sept, mes fils morts » pensa David. Au même moment, l’Ange frappait Gad ainsi que les anciens qui se trouvaient près de lui. Mais l’horreur se niche toujours dans un détail. L’Ange voulut nettoyer son épée ensanglantée en se servant d’un vêtement de David. Dès cet instant, David ressentit un tremblement dans tous ses membres qui ne cessa qu’avec sa mort.

Commentaires
Enregistrer un commentaire