Source : Le Livre de tous les livres par Roberto Calasso, éditions Gallimard, livre exigeant, recommandé par Neûre aguèce.
Juste avant d’énoncer le Décalogue, Yahvé dit à
Moïse : « Je suis un Dieu jaloux, punissant la faute des pères sur
les fils, jusqu’à la troisième et quatrième génération. » Quand, ensuite,
après la mort d’Aaron, Yahvé commença à exposer tous les préceptes que les fils
d’Israël devaient observer, à un certain moment, il dit : « Les pères
ne seront pas mis à mort pour les fils et les fils ne seront pas mis à mort
pour les pères : chacun sera mis à mort pour son propre péché. »
Cette dernière phrase était bouleversante. Jérémie et Ezéchiel un jour la
reprirent. Et le principe est au fondement du ius, depuis Justinien jusqu’au
code Napoléon.
Les hommes ne pourraient plus punir les fils à cause
des pères, mais Yahvé continuerait à frapper durant des générations les
descendants de ceux qui avaient violé ses préceptes. Nombre de commentateurs,
soucieux de parvenir immédiatement à la majesté du Décalogue, ont hâtivement
survolé ces paroles. Qui contenaient pourtant une précision tranchante :
que la punition de Yahvé s’étend « jusqu’à la troisième et quatrième
génération » du coupable est répété dans Exode 34,7, Nombre 14, 18 et
Deutéronome 5,9. Comment dès lors concilier entre elles les paroles de
Yahvé ? Une fois de plus, tout tournait autour de la faute.
Était-elle circonscrite, ponctuelle, ou était-elle
diffuse, mobile, à peine maîtrisable ? Comme à l’égard de toutes les
paroles de Yahvé, dans ce cas aussi, il n’y avait pas le choix : toutes
devaient être acceptées simultanément. Ainsi que le signifiaient ceux qui
observaient les préceptes en les portant sur leur front sous la forme de
phylactères et en les rappelant sans trêve. Mais ce qui comptait le plus
n’était pas l’observance des préceptes singuliers. C’était plutôt la
reconnaissance de la Loi comme entité souveraine, enveloppant tout et planant
au-dessus de tout.
D’autres peuples auraient aussi des codes minutieux,
des règles obsédantes. Les fils d’Israël auraient la Loi : « Ces
paroles que je te prescris aujourd’hui, elles seront sur ton cœur, tu les
inculqueras à tes fils et tu en parleras, quand tu seras assis dans ta maison,
et quand tu iras par le chemin, quand tu te coucheras et quand tu te lèveras,
tu les attacheras comme signe sur ta main et elles serviront de phylactères
entre tes yeux, tu les écrias sur les jambages de ta maison, sur tes
portes. »
Plus important que les préceptes particuliers de la Loi était le fait que la Loi fût l’entité suprême et omniprésente, au-delà de laquelle rien n’était admissible. C’est en cela que résidait la différence irréductible entre la loi de Moïse et toutes les autres. Mais un jour viendrait celui qui parlerait « de ces prévarications qui appartenaient à la précédente alliance. » S’ouvrait donc la possibilité que, à l’intérieur de la Loi elle-même, se cachât l’abus.
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