« Ich hab’ mein' Sach auf nichts gestellt »

 

Source : Gogol et le Diable par Dimitri Merejkowski, traduit du russe par Constantin Andronikoff, éditions Gallimard, relecture en cours.

Khletsakov est un « fantôme » : c’est une figure fantasmagorique, dit Gogol, emportée par la troïka Dieu sait où, comme un mensonge incarné. » Le héros du Manteau, Akaky Akakievitch, de même que Khletsakov, mais seulement après sa mort, devient lui aussi un fantôme, qui terrorise les passants au pont Kalinkine et les dépouille de leur manteau.

Le héros du Journal d’un fou devient aussi un être fantastique, fantomatique, « le roi d’Espagne Ferdinand VIII. » Tous trois ont la même origine : ce sont de petits fonctionnaires péterbourgeois, cellules indifférenciées d’un énorme organisme administratif, fractions infinitésimales d’un infiniment grand tout.

De cette origine commune : l’absorption presque totale d’une vivante personnalité humaine par un tout anonyme et mort, ils s’élancent dans le vide, dans l’espace, en décrivant trois courbes différentes, mais également monstrueuses : l’une trace la parabole du mensonge ; l’autre, de la folie ; le troisième, de la superstition.

Dans les trois cas, la personnalité se venge de sa négation ; se refusant au réel, elle se venge par une fantomatique, une fantastique affirmation de soi. L’homme essaie de ne pas être tel qu’il est parce qu’il ne veut, ne peut, ne doit être rien.

Et sous les traits morts d’Akaky Akkakievitch, les traits aliénés de Popritchine et les traits faux de Khletsakov, à travers le mensonge, la folie et la mort, transparaît quelque chose de véritable, d’immortel, de sur-rationnel, qui existe dans chaque homme, et qui crie aux hommes et à Dieu :

« Je suis unique, jamais et nulle part il n’y a et ne peut y avoir une personne semblable à moi ; je représente tout pour moi-même ; moi, moi et moi » comme le crie Khletsakov dans son délire.

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