Sous l’empire du roman de Genet, Pompes funèbres,
j’écrivis après le double suicide des adolescents de dix-sept ans de mon
village natal, mille pages d’un journal fait d’invocations aux morts, de
citations de Genet, d’extraits de la littérature baroque, des journaux d’Albert
Camus, du Métier de vivre de Cesare Pavese, du De Profundis d’Oscar Wilde, de
mes fantasmes viscéraux, de blasphèmes, de prières catholiques et d’invocations
aux saints. Sous la table où j’écrivais, je frottais mes pieds nus contre une
couronne d’épines et je torturais ma langue jusqu’à en devenir muet durant des
jours et des nuits et à sentir ma langue lourde gisant dans ma cavité buccale
comme un cadavre dans un cercueil. À l’époque, un enfant en pleurs tambourinait
souvent à la porte verrouillée de ma chambre tandis que je travaillais à mon
journal, mon journal nocturne, mon livre des morts, à la lumière bien sûr d’un
cierge noir, la tête pleine d’images des deux gars pendant et devant les yeux
celle d’un crâne de coq tenant son bec grand ouvert, et souvent je n’ouvrais la
porte de ma chambre qu’aux premières heures du jour. Je regardai à l’intérieur
du bec du coq comme dans un cercueil au couvercle décoré de buis et je voyais
les vers au coin des yeux, dans les narines et sur les yeux des morts.
Josef Winkler : Le Livret du pupille Jean Genet
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