Éclaircissement

 

Source : Le Livre de tous les livres par Roberto Calasso, éditions Gallimard, livre exigeant, recommandé par Neûre aguèce.

« Tu prendras du sang du taurillon et tu en mettras sur les cornes de l’autel avec ton doigt, puis tu verseras tout le sang sur la base de l’autel. » Avec les quatre cornes à ses côtés, l’autel rappelait un animal dont le sang devait être étalé sur ces cornes. Le sang appartenait donc à l’autel et il était renouvelé à chaque cérémonie. En même temps, le sang devait être éliminé. Lorsque le Temple de Jérusalem fut élevé, on veilla à inventer un système complexe de vasques et de cannelures pour que le sang disparaisse de la vue. Il existait une duplicité invincible dans le rapport avec le sang : il ne pouvait pas imprégner ce que l’on mangeait, mais il devait se coaguler aux quatre extrémités de l’autel où l’on présentait les offrandes. Interdit aux humains, le sang était indispensable à Yahvé.

Partout, le sang marquait une discrimination. Il unissait le sacrifiant et l’animal immolé, et seule cette condition rendait possible que le prêtre consommât la « chair du désir » en éludant la condamnation irrémédiable réservée à qui mange la chair sans l’avoir d’abord offerte dans la Tente de Rencontre : « Car la vie de la chair est dans le sang et, moi, je l’ai mis pour vous sur l’autel, pour racheter nos vies, car le sang, en tant que vie, rachète. C’est pourquoi j’ai dit aux fils d’Israël : personne d’entre vous ne mangera de sang et l’hôte qui séjourne au milieu de vous ne mangera pas de sang. »

Si le sang était « la vie de la chair » et devait être étalé sur l’autel, cela impliquait que la vie elle-même fût offerte sur l’autel. Tout sacrifice était un autosacrifice. Et pour qu’il ne fût pas un suicide, il devait devenir un meurtre. Le point à propos duquel la doctrine ne disait mot était le motif pour lequel une vie sans rachat ou propitiation était inconcevable. Et propitiation sans meurtre. La vie pure et simple, quoique dévote, quoique soumise aux préceptes de Yahvé, ne suffirait pas.

Ce sang étalé sur une pierre avec à ses angles quatre cornes était nécessaire. Et, de toute façon, le sang était nécessaire. « Sine sanquinis effusione non fit remisso. » Sans effusion de sang, il n’y a pas de rachat : c’est la formule que l’on lirait un jour dans l’Épître aux Hébreux.

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