Source : Voir l’invisible, histoire visuelle du mouvement merveilleux-scientifique (1909-1930) par Fleur Hopkins-Loféron, éditions Champ Vallon, collection Détours, recommandé par Neûre aguèce
Dans son roman à succès Le
Prisonnier de la Planète Mars (1906), dont la maison Mairicant annonce
triomphalement 10.000 tirages en 1908, Gustave le Rouge (1867-1938), surnommé
« le Jules Verne des midinettes », imagine un appareil qui ponctionne
l’énergie de milliers de fakirs et permet au manipulateur, vidé de toute sa
force après activation de la machine, de la concentrer en un point unique. Dans
cette robinsonnade spatiale, Robert Darvel est envoyé sur Mars, contre son gré,
non plus à bord d’un obus ou d’une montgolfière, mais simplement d’une olive,
mue par force psychique.
L’importance du thème de la lévitation
ne doit pas étonner. Les auteurs de merveilleux-scientifique s’inspirent à la
fois de « l’extériorisation de la motricité » ou de la
« sensibilité » c’est-à-dire une action mécanique s’exerçant par le
fait de la force psychique du fakir (Gustave le bon, Helena Blavatsky, Charles
Richet), et des spectacles de music-hall qui présentent la lévitation d’objets
sans contact ou ascension de corps. Il a aussi affaire, une fois encore, avec
l’imaginaire de l’électricité (électromagnétisme et mesmérisme)
De même, certaines études obsolètes
sur les aimants et sur l’électricité atmosphérique ont laissé espérer la
possibilité du vol humain par un moyen magnétique (machine volante imaginaire
du Père Grimaldi, notamment, ou globes électriques de Louis-Guillaume de la
Follie) En ces termes, le thème de la lévitation propose un curieux mariage
entre science psychiques (force psychique), fakirisme (lévitation) et
électricité (force répulsive)
Il semblerait que le modèle de Le
Rouge s’inspire de l’extériorisation de la force psychique, défendue par Albert
de Rochas : la volonté du fakir, concentrée puis démultipliée par le
condensateur, permettrait de libérer du sol non plus un seul individu, mais un
engin volant. Les romans de Gayar et de Le Rouge constituent surtout un
témoignage essentiel de la manière dont le thème de la métempsycose propre aux
fakirs rencontre la croyance en la réincarnation de l’âme sur d’autres
planètes, dans un siècle marqué par un progrès mécanique retentissant, mais
aussi par les expérimentations d’Edison en matière d’ondes psychiques et sur
les dangers du courant alternatif.
Ces machines soulignent aussi la peur de la neurasthénie à la même époque, que Mireille Breton a mise en évidence en étudiant comment le trop-plein sensoriel crée chez les spectateurs du cinématographe une forme de nervosisme fin-de-siècle. De même, chaque fois que les spirites ou fakirs « branchent » leur force psychique à la machine qu’ils comptent alimenter, ils sont vidés, pour ne pas dire court-circuités.
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