« This bondage, it has no charms »

J’en arrive maintenant, mon vieux, à la plus éminente de mes propositions : imagine l’ordre. Ou plutôt, imagine d’abord une grande idée, puis une plus grande, puis une plus grande encore et ainsi de suite ; et sur ce modèle, imagine toujours plus d’ordre dans ta tête ! D’abord, c’est aussi plaisant qu’une chambre de vieille demoiselle, aussi net qu’une écurie militaire, puis grandiose comme une brigade en formation de bataille ; puis, enfin, tout à fait fou, comme quand on rentre du mess en pleine nuit et qu’on commande aux étoiles : « Univers, attention, à droite… droite ! » Ou encore, disons, l’ordre est d’abord comme quand une recrue cafouille des guibolles et que tu l’aides à marcher droit, au pas, ensuite, comme quand tu rêves que tu es nommé ministre de la guerre par-dessus la tête de quelqu’un. Imagine-toi maintenant un ordre humain total, universel, en un mot, l’ordre civil parfait : parole d’honneur ! C’est la mort par le froid, la rigidité cadavérique, un paysage lunaire, une épidémie géométrique. D’une manière ou d’une autre, l’ordre se transforme en désir de tuer. 

DIJ : Power has a fragrance
Robert Musil : L’Homme sans qualités

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