« Ô toi, le plus savant et le plus beau des Anges »

 

Source : Hiérarchie, la société des anges, par Emanuele Coccia, éditions Rivages, collection Bibliothèque Rivages, préface par Joël Gayraud.

L’angélologie est une sociologie du pouvoir : non pas au sens banal et moderne du terme, de phénoménologie des formes à travers lesquelles le pouvoir s’exerce dans la société, mais d’une théorie qui fait du pouvoir une dimension purement sociale. Les anges expriment et incarnent l’idée que le pouvoir est quelque chose dont le seul effet est de devenir supérieur aux autres (n’existant donc que par rapport aux autres et non dans l’absolu) mais aussi l’idée que cet effet de supériorité ne correspond à aucune nature, à aucune ontologie.

Le mythe de la Chute est la formulation de cette intuition : Lucifer, le plus haut des anges, le plus puissant, n’a pu perdre son pouvoir, sa divinité, que parce que l’un et l’autre ne correspondait pas à sa nature. En somme, le pouvoir est toujours disproportionné par rapport à la nature de celui qui l’exerce parce qu’il ne peut être fondé sur elle. Inversement, celui qui exerce le pouvoir est inadapté à sa fonction : ce que nous appelons hiérarchie, en effet, c’est encore aujourd’hui le fait même que l’on puisse se trouver en haut ou en bas de la fantomatique échelle sociale, certainement pas en raison de qualités ontologiques naturelles, objectives, mais toujours et seulement en raisons d’effets spéciaux que la société projette sur nous.

L’angélologie chrétienne découle en somme de l’intuition qu’avoir du pouvoir en société ne signifie jamais faire l’expérience de sa propre nature. Et ceux et celles qui, comme le premier ange, Lucifer tentent de se croire naturellement puissants, naturellement divins, qui pensent  l’identité entre nature et pouvoir, sont destinés à perdre leur supériorité. La socialisation fait de la divinité quelque chose de totalement artificiel.

Techniquement, on pourrait dire que c’est en fait la hiérarchie qui mène à la démocratie. Le pouvoir n’appartient à personne car d’un point de vue ontologique, aucun sujet ne peut se prétendre divin et toute forme de supériorité est toujours empruntée à autrui.

Commentaires