« Je n’ai pas de bouche et il faut que je crie »

 

Le cri est un essai de modification du réel : il provoque le miracle. La poésie est, par contre, acceptation de l’actuel, caractérisé par ce qui veut le modifier ; elle affirme le miracle. Que le cri s’empare de la poésie, non en tant que ressouvenir, mais en tant qu’action et elle se brise. Mais, me dit-on, même le cri pur de Job, celui du psalmiste, qu’est-ce sinon le de la plus haute poésie ; je le veux bien, mais je distingue le cri de Job du psalmiste, le cri vrai, véritablement crié à Dieu, du cri postérieurement enregistré dans le poème, du cri raconté, dont on se souvient. Sans doute, cette trajectoire permet-elle au poète de recueillir le cri au passage, comme un événement considérable, une manière poétique de premier ordre. Qu’un Rimbaud, se méprenant sur son rôle, veuille non seulement se souvenir de son cri, ce qui lui arrive fréquemment, et qui fait qu’il est un grand poète, « ce n’est rien j’y suis, j’y suis toujours », mais qu’il veuille crier dans la poésie même, faire coïncider inspiration et cri, cela pose la question de l’essence même du lyrisme et définit ses limites, son impuissance à modifier le réel, à forcer la rigueur, etc. Après cela, il ne restait qu’à Rimbaud qu’à briser l’instrument ou qu’à l’abandonner.

Benjamin Fondane : Rimbaud le voyou

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