Source : La cuisson de l’homme, essai sur l’œuvre de Robert Musil par Jean-Louis Poitevin, éditions José Corti, recommandé par Neûre aguèce
La nouvelle Le Merle est sans doute le texte de
Musil qui, avant L’homme sans qualités, pose avec le plus d’acuité la
question du statut de l’événement à l’ère de la nécessité sans loi. Deux personnages
aux noms sans ambiguïté de A-un et A-deux, amis d’enfance, se retrouvent et
A-deux profite de l’oreille attentive de l’amitié pour raconter trois
événements de sa vie à son ami. Une nuit, le chant d’un rossignol l’amène à
quitter sa femme sur-le-champ.
« Tout ce que je puis te dire, c’est l’impression
que je ressentis en vivant cela : qu’un signal, lancé je ne sais d’où,
m’avait atteint. »
Pendant la guerre, dans le long étirement d’un instant
suspendu, une flèche volante vient tomber pas très loin de l’endroit où il se
trouve et le délivre en quelque sorte de la peur.
« La peur de la mort s’est donc émoussée, mais on
n’est plus sensible à toutes sortes d’émotions. C’est comme si l’angoisse de la
fin qui, manifestement, ne cesse de peser sur l’homme, avait été roulée loin de
vous, à la manière d’une pierre ; et voici que, dans la proximité
indéterminée de la mort, s’épanouit en vous une étrange liberté. »
Le troisième événement est double : il se présente
comme destin, à travers la mort rapprochée de la mère et du père du narrateur,
et surtout, à quelque temps de là, par l’apparition un soir d’un merle à sa
fenêtre, qui lui parle et lui dit qu’il est sa mère. Il garde ce merle et le
nourrit et dit alors ceci.
« C’est que de ma vie je n’ai jamais été si bon
que du jour où je possédai le merle. »
Il faut ces trois histoires pour que quelque chose comme l’événement puisse être pensable, car il n’est en rien contenu dans l’un de ces trois moment, ni même dans leur impossible somme, mais bien plutôt dans le jeu énigmatique qui s’instaure entre eux. L’événement est, dans le monde « magique » qu’est le réel, quelque chose qui se manifeste sous la forme radicale de la nécessité sans loi, comme dépendant d’éléments apparemment hétérogènes et qui semblent pourtant liés entre eux par une puissance énigmatique qui forme une trame plus résistante que la réalité.
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