Source : La Cuisson de l’homme, essai sur l’œuvre de Robert Musil, par Jean-Louis Poitevin, éditions José Corti
C’est entre un poing qui tiendrait tout rassemblé et le
flottement d’un ruban au-dessus du vide que le récit avance. Suivre ces
mouvements, ces oscillations, les accomplir, tel est donc le programme de
Musil, mais n’est-ce pas aussi le Mal qui disparaît lorsque l’on comprend que
l’infidélité était l’infidélité à un monde mort ?
Flottement, fluidité, oscillation, contraction, dilatation,
rétention, totalisation, mais aussi faille, brisure, incommunicabilité, ou
encore image, balayage, chaos et tout autant, suspens, rigueur,
exactitude : le monde de Musil déploie ses subtilités assassines contre
les forteresses de l’évidence et de la vérité, ces masses de sens tendues vers
un but depuis longtemps oublié et pétrifiées en un geste passant pour auguste,
et il les brise !
L’inconditionnel porte le récit musilien comme un élan
qu’une main accueille en la faiblesse de sa naissance et conduit à travers les
éclats des forteresses brisées jusqu’à un accomplissement singulier, moment
précaire où le suspens s’expose, arche sans soutènement, face aux flux
emportant toutes choses.
Les forteresses de l’évidence sont imprenables dès lors que celui qui y pénètre, ne cessant de s’en rêver le maître, s’en voit aussitôt être le prisonnier. Pour qui se laisse affecter et suit les lignes de flux, il n’y a plus de place à prendre, mais plutôt à rebondir sur soi-même. Appréhender chaque forteresse comme un assemblage de blocs hétérogènes, c’est aussi voir en elle une puissance de conversion.
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