Leo Strauss lit dans Le Prince
ce travail d’écriture comme ayant pour règle la mise en circulation de la
passion de la peur, suivant une écriture qui manie l’effroi et le renvoi de
l’effroi d’une phrase à l’autre, d’un public à l’autre, et qui effraie pour
rassurer tout aussitôt. La démobilisation de la hiérarchie et du partage entre
sagesse et opinion, le trouble commun du paradoxe signifie la circulation de l’affect
de la peur. Cet « état de guerre » de l’écriture elle-même confère à
l’auteur la haute main sur l’effroi. Machiavel, de son aveu, veut « faire
frémir » le lecteur, et c’est un des secrets de son écriture, qui a pour
corollaire la faculté contraire de diminuer l’effroi en réinsérant l’énoncé
dans des enchaînements qui en circonviennent l’effet. Le lecteur est conduit à
la formation d’un caractère capable de sentir l’effroi passer. Machiavel manie,
ouvertement dans Le Prince, de façon plus couverte dans les Discours,
la peur et son suspens, alternant entre effrayer et rassurer. Il s’agit là
d’une dramatisation de l’écriture et toute-puissance de l’Auteur.
Gérald Sfez : Leo Strauss, lecteur de Machiavel
Commentaires
Enregistrer un commentaire