Sutcliffe approved

 

Dans l’expérience post-chirurgicale, il y a quelque chose de très étonnant, c’est que votre corps a tendance à s’enfuir, s’échapper partout à la fois. Il fuit par tous les bouts. Ce n’est pas du tout inquiétant. C’est même ce qu’on appelle une bonne convalescence. Vous sentez que votre corps, vous ne le tenez plus du tout, qu’il s’échappe partout. C’est une drôle d’expérience, ça. Quand je parle de ce regard comme de gens qui ont vu quelque chose, c’est dommage qu’ils l’oublient tellement. En effet, sinon les gens seraient merveilleux, ils n’oublieraient pas une opération, ils en sortiraient bons. On a l’impression, après une opération, qu’ils ont compris quelque chose. Pourtant, ce n’est pas eux. Mais leur chair a compris quelque chose. Le corps est intelligent, quand même… Leur corps a compris quelque chose qu’ils vont oublier ensuite, tellement vite. Dommage. Une espèce de bonté, de générosité émane d’eux, car cette mort qu’ils ont vue, et qui devient visible dans leurs yeux, c’est très curieux dans la mesure où elle devient visible, elle cesse d’être l’ennemie, elle est, d’une certaine manière, l’amie, c’est-à-dire : elle devient en même temps autre chose que de la mort.

Gilles Deleuze : Sur la peinture

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