Source : Logique du sens par Gilles Deleuze, éditions de Minuit, collection « Critique », relecture en cours 2006-2023
Renverser le platonisme signifie faire monter les
simulacres, affirmer leurs droits entre les icônes ou les copies. Le problème
ne concerne plus la distinction essence-apparence ou modèle-copie.
Cette distinction tout entière opère dans le monde de
la représentation ; il s’agit de mettre la subversion dans ce monde,
« crépuscule des idoles. » Le simulacre n’est pas une copie dégradée,
il recèle une puissance positive qui nie et l’original et la copie, et le modèle
et la reproduction. Des deux séries divergentes, au moins intériorisées dans le
simulacre, aucune ne peut être assignée comme l’original, aucune comme la
copie. Il ne suffit même pas d’invoquer un modèle de l’Autre, car aucun modèle
ne résiste au vertige du simulacre. Il n’y a pas plus de point de vue
privilégié que d’objet commun à tous les points de vue. Il n’y a pas de
hiérarchie possible : ni second, ni troisième…
La ressemblance subsiste, mais elle est produite comme
l’effet extérieur du simulacre, pour autant qu’il se construit sur les séries
divergentes et les fait résonner. L’identité subsiste, mais elle est produite
comme la loi qui complique toutes les séries, et les fait toutes revenir en
chacune au cours du mouvement forcé. Dans le renversement du platonisme, c’est
la ressemblance qui se dit de la différence intériorisée et l’identité, du
Différent comme puissance première. Le même et le semblable n’ont plus pour
essence que d’être simulés, c’est-à-dire d’exprimer le fonctionnement du
simulacre.
Il n’y a plus de sélection possible. L’œuvre non-hiérarchisée est un condensé de coexistences, un simultané d’événements. C’est
le triomphe du faux prétendant. Il simule et le père et le prétendant, et la
fiancée dans une superposition de masques. Mais le faux prétendant ne peut être
dit faux par rapport à un modèle supposé de vérité, pas plus que la simulation
ne peut être dite une apparence, une illusion. La simulation, c’est le fantasme
même, c’est-à-dire l’effet de machinerie, machine dionysiaque. Il s’agit du faux
comme puissance, Pseudos, au sens où Nietzsche dit : la plus haute
puissance du faux.
En montant à la surface, le simulacre fait tomber sous la puissance du faux le Même et le Semblable, le modèle et la copie. Il rend impossible l’ordre des participations et la fixité de la distribution, et la détermination de la hiérarchie. Il instaure le monde des distributions nomades et des anarchies couronnées. Loin d’être un nouveau fondement, il engloutit tout fondement, il assure un universel effondrement, mais comme événement positif et joyeux, comme effondement.
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