Quand vous prenez quelque chose d’ordinaire pour du
remarquable, ça affecte le contenu de l’idée, pas simplement des trucs formels.
C’est pour ça que vous avez tout le temps des livres dont vous vous dites, et
je ne sais pas si vous aussi, vous faites cette expérience : ça ne va pas,
c’est enfantin. On aurait de la peine à dire en quoi c’est faux. Non, ce n’est
pas faux, c’est rien. Alors que le type a l’air de trouver que ses idées sont
formidables. Et là ce n’est pas le lieu d’une discussion. C’est pour ça que les
discussions, c’est toujours de la merde, vous savez. Je ne peux pas dire à
quelqu’un : « voilà pourquoi ton idée n’est pas fameuse », c’est
impossible à dire. Simplement, c’est ça qu’on a dans la tête, le monde des
idées toutes faites, soit des idées collectives, soit des idées mêmes
personnelles. Il y a des idées toutes faites qui sont pourtant rien qu’à moi,
qui sont faciles. À la rigueur, je peux les dire dans la conversation, mais si
ça passe par l’épreuve d’écrire, je me dis : mais enfin, qu’est-ce que
c’est que ça ? Qu’est ce que je suis en train de dire ? Est-ce que ça
vaut la peine de l’écrire ? Si on se demande beaucoup ça, je ne dis pas
qu’on réussit, on se trompe comme tout le monde, mais déjà moins souvent. Il
faut avoir des questions d’urgence.
Gilles Deleuze : Sur la peinture
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