La dénomination « principe de raison
insuffisante », « Prinzip vom unzureichende Grund », est
contestable dans la mesure où elle évoque assez spontanément l’idée
d’événements qui ont certes des raisons et des raisons égales d’intervenir,
mais des raisons qui ne sont pas suffisantes pour expliquer qu’un et un seul
d’entre eux se produise finalement, comme s’il ne pouvait en quelque sorte le
faire qu’en vertu d’une sorte de supplément mystérieux et inexplicable, malgré
l’égalité des raisons dont il est question. Mais, comme je l’ai déjà souligné,
ce n’est évidemment pas du tout de cette façon que ses premiers utilisateurs
ont compris le principe. Et je ne crois pas non plus que Musil ait voulu suggérer
que ce qui arrive le fait généralement de façon gratuite et sans aucune espèce
de nécessité. Ce qu’il déplore, dans le cas des actions de l’homme et des
activités humaines en général, est plutôt que la nécessité qui les gouverne la
plupart du temps n’ait pas de vraie raison, il ne leur reproche pas d’être
nécessaire, mais de n’être justement que nécessaires, de s’enchaîner
nécessairement les unes aux autres, comme si elles étaient liées davantage
entre elles qu’à nous-mêmes, autrement dit, du point de vue de l’exigence de
signification, d’être affectée presque uniformément d’une indigence et d’une
insuffisance radicale. C’est bien, en tout cas, ce que suggère l’assimilation
que fait Ulrich du « nécessaire » au « nécessiteux. »
Jacques Bouveresse : L’Homme probable
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