Le miracle de l’eau glacée sous l’action du feu est
exactement comparable aux miracles des singes dactylographes ; il est
probable et non certain que ces miracles ne se produiront pas. Sans doute, il
n’est pas douteux que ce degré de probabilité doit être, pour tout homme sensé,
confondu avec la certitude ; cette certitude n’a cependant pas la valeur
absolue qu’un philosophe doit attribuer à son déterminisme : car si petite
que soit la part faite à la liberté dans le monde, il y a un abîme entre un
monde où cette part existe et un monde d’où elle est exclue. Cette place qui
pourrait être faite à la liberté (pour les choses, si l’on peut s’exprimer
ainsi à leur sujet, et sans doute également, du même coup, pour les actions
humaines) a toutes les chances de rester essentiellement théorique, si elle
repose uniquement sur le fait que même le plus improbable peut néanmoins (en
principe) arriver. Si l’on dit, par exemple, que la liberté n’aurait aucune
chance contre la nécessité proprement dite, mais en conserve toujours une
contre une probabilité même très élevée, il faut bien voir que cette chance
risque d’être beaucoup trop insignifiante ou exceptionnelle pour pouvoir
correspondre à une possibilité que nous sommes supposés utiliser constamment ou
une faculté que nous sommes censés exercer pour ainsi dire à chaque instant. Le
miracle de « l’acte libre » ressemble peut-être sur certains points à
celui des singes dactylographes, mais il s’en distingue au moins par le fait
qu’il s’agit, si l’on peut dire, d’un miracle régulier et ordinaire.
Jacques Bouveresse : L’Homme probable
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