Astropolitique

 

Pris sur Academia.edu. Alexandre Chizhevsky et Johannès Kepler : en quête du processus historique conscient par Karine Dilanian, traduction de l’anglais par Neûre aguèce, no copyright infringement intended.

Alexandre Chizhevsky (1897-1964) fut l’un des premiers cosmistes russes, parmi lesquels Nikolaï Fiodorov (1829-1903) et Konstantin Tsiolkovsky (1857-1935), le théoricien de l’exploration spatiale. Chizhevsky entreprit ses études à l’Institut Archéologique de Moscou et à l’Institut Commercial de Moscou ; en 1918, il défendit brillamment sa thèse de doctorat « De la périodicité du processus historique mondial » devant le Conseil scientifique de la Faculté d’Histoire et de Philologie de Moscou.

Six ans plus tard, il développe sa thèse dans son livre : « Les Facteurs physiques dans le processus historique » avec pour sous-titre : « Enquête et théorie : l’influence des facteurs cosmiques sur le comportement des sociétés humaines et des masses ainsi que sur le développement historique universel à partir du cinquième siècle avant J.-C. jusqu’à nos jours. » Une édition réduite parut à Kaluga en 1924. En introduction, Chizhevsky s’interroge sur le but et les intentions de l’Histoire et conclut à son absence de signification sur le plan social.

« L’Histoire est la connaissance des morts », une archive dont notre compréhension se limite à des « leçons qui n’ont jamais rien appris à personne. » « En dépit du savoir rassemblé par les historiens, par leurs méthodes complexes, en dépit des redoutables problèmes surmontés par la science, l’Histoire vaut moins que zéro pour ce qui est de la pratique sociale de l’humanité. »

Face à cette inutilité des études historiques, Chizhevsky préconisait de se tourner vers la science moderne ; elle réduit les phénomènes psychologiques aux processus physiologiques et physico-chimiques qui trouvent eux-mêmes leur explication dans la mécanique des particules élémentaires.

Selon lui, seule la science permettrait une meilleure compréhension de l’essence même de la vie mentale et de son articulation profonde avec l’organisme vivant et son environnement.

Cependant, les tentatives antérieures d’explication de l’activité humaine historique par des lois naturelles ou par des forces physiques avaient complètement échoué, faute d’une théorie adéquate et Chizhevsky établit comme programme de révéler cet ordre qui présidait à l’activité humaine et à la libre-volonté. Pour ce faire, il préconisait l’application d’un modèle physico-mathématique : dès lors que l’univers ne pouvait être compris qu’à la lumière du paradigme scientifique moderne, le sort de l’humanité en dépendait également.

Selon Chizhevsky, l’évolution des corps célestes dans l’espace terrestre produisait des variations de champ électromagnétique autour de notre planète, ce qui entraînait des perturbations météorologiques et d’autres phénomènes. Le soleil, source de toute vie sur Terre, dépend lui-même de l’électromagnétisme universel ainsi que de la position des corps célestes, ce qui lui confère un rôle prééminent.

« Il faut considérer a priori que tous les événements majeurs des sociétés humaines, de toutes les nations et pays, les phénomènes qui mettent les masses en mouvement, se produisent en fonction du champ de forces qui les entoure. Tout événement qui met les masses en mouvements forme un ensemble complexe qu’il faut diviser et réduire en plus petits éléments, clairs et distincts, pour simplifier la compréhension du phénomène. Telle est la tâche essentielle de l’étude de l’histoire naturelle. »

Le soleil est l’astre dominant : c’est lui qui communique sa force motrice à tout le processus. Fort de ce présupposé, Chizhevsky entreprit une étude de l’histoire en fonction de l’activité périodique du soleil et il en fournit les résultats dans « Facteurs physiques dans le processus historique » dans lequel il démontre une corrélation entre les cycles solaires de onze ans et ce qui se passe à la surface de la Terre. Il dédia son ouvrage à Rudolf Wolf (1816-1893) qui avait démontré la corrélation entre les phases solaires et le magnétisme terrestre.

Dans son étude, Chizhevsky établit un tableau comparé entre les guerres, batailles, révolutions, émeutes et épidémies dans l’Empire russe puis en U.R.S.S. et les phases d’activités solaires, le tout s’étendant sur une période entre 500 avant J.-C. et 1922 de notre ère. Il en vient à la conclusion qu’une part signifiante de ces événements, ceux qui impliquent les masses les plus importantes, se produit lorsque l’activité solaire est la plus intense, à partir de quoi il déduit une « loi morphologique » de l’Histoire.

« L’évolution du processus historique universel se compose d’une succession ininterrompue de cycles, qui se développent selon une période régulière de onze ans, pendant lesquels l’activité militaire et politique de l’humanité se synchronise sur l’activité solaire.

« Chaque cycle se caractérise par ces particularités à la fois historiques et psychologiques : au point médian du cycle, l’activité humaine à la surface de la planète (économique, politique, militaire) atteint sa tension maximum, ce qui se traduit par des pandémies psychomotrices, des révolutions, des insurrections, des conquêtes, des migrations, ce qui entraîne l’apparition de nouvelles formations politiques, de nouveaux États, de nouvelles époques.

« Ce processus s’accompagne d’une intégration des masses, dont l’activité culmine par l’instauration d’un gouvernement où une majorité s’impose. Au point le plus extrême du cycle, la tension politique et militaire descend au minimum et on voit alors apparaître une phase d’activité créatrice. Le bellicisme reflue et commence une période de paix et de prospérité dans les relations internationales ainsi que dans le domaine artistique et scientifique, avec une tendance prononcée pour l’absolutisme en politique et la désintégration des masses.

« Quand l’activité solaire est au maximum, il y a corrélation avec a) la multiplication et la propagation de doctrines politiques, religieuses, les hérésies, les pèlerinages, etc. b) l’émergence de réformateurs sociaux, de chefs de guerre, de guides religieux, etc. c) la constitution de partis politiques, de syndicats, d’églises, de corporations, de guildes, etc.

« Les épidémies coïncident généralement avec l’activité solaire la plus intense. Il y a neuf cycles solaires par siècle et par conséquence, neuf cycles politiques et militaires dont chacun se divise à son tour en quatre périodes : trois ans de faible réactivité, deux ans de croissance, trois ans de réactivité maximum, trois ans de déclin réactif. »

Cosmisme russe.

Dans leur article « Destin de l’expression ‘cosmisme russe’ », V.P. Rimsky et L.P. Filonenko (2012) attribuent la paternité du terme à Svetlana Smenova qui, à la fin des années 70, décrivait le cosmisme comme « une théorie de l’évolution dirigée qui s’explique par le besoin d’un degré de conscience supérieur où l’humanité dirigerait l’histoire dans un sens moral en prenant, pour ainsi dire, les rênes de l’évolution. »

La première occurrence du terme figure dans l’Encyclopédie Philosophique, publiée en 1970, dans l’article de Renata Galtseva, dédié à Vladimir Vernadsky (1863-1945) et qui évoque « les théories des soi-disant cosmistes russes, Tsiolkovski, Chizhevsky, mais aussi Fiodorov et Florensky) qui considèrent l’homme et l’univers comme un système holistique doté de sa propre régulation (homéostasie) et qui préconise une transformation de l’espace par la raison. »

Chizhevsky lui-même reconnaissait l’influence de Tsiolkovski : « nos intérêts respectifs se rejoignaient sur une même base, mais laquelle ? Il étudiait le cosmos et dessinait les plans de fusées interplanétaires tandis que moi, j’étudiais l’influence du cosmos sur nous, sur l’air même que nous respirons. »

Chizhevsky avait rencontré Tsiolkovski en 1914 et ils poursuivirent une discussion scientifique pendant plus de vingt ans. Tsiolkovsky fut le premier interlocuteur de Chizhevsky concernant sa théorie des cycles d’activité solaire. Ce fut Tsiokovski qui le persuada de recourir aux statistiques pour démontrer sa thèse. D’autre part, Tsiolkovsky était un fervent partisan de l’hypothèse d’une influence solaire sur le déroulement historique en général. Dans Commua, un journal local de Kaluga, il écrivait :

« Ce jeune scientifique tente de percer à jour la relation fonctionnelle entre le comportement humain et les variations du cycle d’activité solaire, en déterminant par calcul les rythmes et les périodes de ces fluctuations, ouvrant ainsi la voie à un nouveau savoir. Chizhevsky procède par généralisations et sa pensée audacieuse présente un grand intérêt. Ses livres seront lus à la fois par les historiens — ils y découvriront un monde nouveau, le surgissement de l’astronomie dans leur domaine d’étude — et par les psychologues ou sociologues. Cet ouvrage se situe à la croisée des sciences, entre la physique et la statistique. »

Pourtant, les deux hommes ne s’accordaient pas sur tout. Dans son article « Le Cosmisme de Chizhevsky », V.V. Kazutinsky (2004) relève que Tsiolkovski croyait à la « volonté de l’univers » qui était une « énergie mentale d’un degré de force supérieur » qui s’appliquait à l’humanité et déterminait de nombreux aspects de la vie alors que Chizhevsky insistait plutôt sur l’impact de cette même force sur le déroulement de la vie sur terre. Kazutinsky insiste sur l’originalité de la contribution de Chizhevsky au cosmisme, mais il souligne aussi à quel point ces hypothèses furent fraîchement accueillies, hier comme aujourd’hui, par la communauté scientifique.

Dans Le Pouls du cosmos, Chizhevsky écrit : « Peut-être le premier humain qui leva la tête sur la voûte étoilée, dans le silence de la nuit bleue, se rendit-il compte que cette assemblée de luminaires avait quelque chose de commun avec le sol sous ses pieds, un lien à la fois direct et invisible. À partir de ces observations élémentaires, étayées par une logique rustique, naquit une science imaginaire : l’astrologie. Tous les peuples du monde sont passés par ce stade, de l’astrolâtrie à l’astronomie, la véritable science du ciel. »

Comme le remarque Kazutinsky, Chizhevsky cherchait à reformuler l’astrologie en termes modernes : « Plus la sphère de l’expérimentation scientifique s’élargit, plus les faits tendent à prouver l’influence de l’environnement sur l’être humain, sur son comportement et plus les principes de l’astrologie gagnent en importance à nos yeux : les anciens eurent une intuition à la fois naïve et fondée, une des plus importantes, sur les propriétés élémentaires de notre monde, les principes d’un monisme cosmique. »

Johannes Kepler : source de Chizhevsky

Chizhevsky s’inscrivait dans une ligne de pensée qui rejetait les structures interprétatives des horoscopes mais qui croyait en une forme de sympathie universelle, à partir de laquelle on pouvait établir une astrologie rationnelle. C’était le cas de Johannes Kepler (1571-1630) : Le Pouls du cosmos inclut une brève biographie dans laquelle Chizhevsky définit l’Harmonice Mundi (1619) comme « un livre ingénieux » et l’astrologie, comme « la pierre de touche de sa philosophie. »

Chez Kepler, Chizhevsky relève la conception d’une essence primordiale du cosmos, « obsshe nachalo », qui opère à travers le monde et ses constituants, où tout est lié selon un principe de circulation, « principium universale circulationis. » Kepler tentait d’expliquer la structure de l’univers en s’appuyant sur des concepts pythagoriciens, basés sur des rapports de proportions. Cette notion d’harmonie apparaissait également dans une œuvre des débuts de Chizhevksy, non publiée, Les Premiers instants de l’univers, système, problème et qu’Ekaterina Zvonova considère comme un compendium philosophique équivalent au traité de Kepler.

Dans Facteurs physique du développement historique, Chizhevsky cite le De fundamentis astrologiae (1601) pour évoquer le phénomène de « la lumière noire solaire » causée par des éclipses ou d’autres raisons.

« Les évangélistes Matthieu, Marc et Luc mentionnent l’obscurcissement du ciel et du soleil à la mort du Christ. Ovide, dans les Métamorphoses et Virgile dans les Géorgiques, citent un phénomène analogue à la mort de César, en 44 avant J.-C. De telles météores ont souvent été décrits mais ils peuvent s’expliquer autrement que par des taches solaires : d’après Kepler, le courant sec obscurcit parfois la lumière du soleil. »

Le savant russe reprend la thèse 27 des Fundamentalis et entreprend la description des couleurs de l’arc-en-ciel, puis les variations de celles du soleil :

« Sur une moitié, la brillance diminue et sur l’autre elle se réfracte ; finalement, les deux hémisphères prennent une couleur noir, ou sombre. Au début de la phase de diminution, le soleil devient jaune, puis rouge, puis cendreux et enfin, noir. Le même phénomène se manifeste dans les nuées au lever ou au coucher du soleil ; idem dans les étoiles sur l’horizon, ou avec les éclipses solaires, quand la privation de lumière abuse nos sens. »

Cette note s’inspire clairement de Kepler, bien que Chizhevsky ne fournisse pas la référence, mais son œuvre présente de troublantes similitudes. Ainsi, alors Kepler écrit : « La cause la plus générale et la plus puissante, connue de tous, est celle du rapprochement ou de l’éloignement du soleil », Chizhevsky débute ses Facteurs physiques par ces mots :

« Si l’on prend en compte l’énorme quantité de lumière, ainsi que la relativement courte distance qui la sépare de la Terre, nous pouvons affirmer que la Terre subit l’influence directe et puissante du corps céleste central de notre système planétaire. »

Kepler considérait le soleil comme une forme de puissance transcendante, ou comme « une fontaine de lumière », « le roi des planètes qui se déplace », « le cœur du monde de par sa puissance, son œil de par sa beauté. » « Nous sommes les sujets du soleil ; sa majesté et sa force commandent à son office et il est digne de recevoir Dieu en sa demeure, car il est aussi le premier moteur immobile. »

Dans son Épilogue conjectural de l’Harmonice Mundi, Kepler va jusqu’à célébrer le soleil par un hymne où se mêlent les données scientifiques de son temps et sa mythologie personnelle : « Depuis la musique des sphères jusqu’à l’auditeur ; depuis les Muses d’Apollon jusqu’au coryphée ; depuis les six planètes et leurs orbes, jusqu’au Soleil, immobile au centre, mais qui tourne sur lui-même, tout est régi par un principe d’harmonie dont le centre solaire est le point nodal. »

Chizhevsky partageait cet héliocentrisme qui débordait le domaine astronomique jusqu’à la psychologie humaine. Dans L’Écho terrestre des tempêtes solaires, il écrit :

« Nous, les enfants du soleil, nous ne représentons qu’un faible écho des vibrations des forces cosmiques qui frôlent notre planète, ne faisant que l’effleurer, tout en s’harmonisant à elle. Nous nous sommes accoutumés à une conception étriquée de la vie, comme quoi la vie ne résulte que du hasard des causes matérielles terrestre. C’est faux. La vie appartient bien plus au cosmos à la terre. Notre planète fut créée par le bombardement de matière venue de l’espace et elle maintient sa course par la dynamique de ces mêmes forces cosmiques ; chaque pulsation de notre organisme est coordonnée à celle du cœur cosmique, cette sublime collection de nébuleuses, d’étoiles, de Soleils et de planètes. »

Dans sa biographie de Kepler (2018), l’historien de l’astrologie, Nicholas Campion met en évidence sa volonté de moderniser l’astrologie, pour la purger de ses scories médiévales et d’en faire une science prédictive au service des intérêts politiques de préservation de l’État et de l’ordre civil.

De même, dans son essai De l’Astrologie à la Biologie cosmique, Chizhevsky se demande « n’aurions-nous pas trop vite enterré l’astrologie et son principe fondamental ? L’analyse mathématique appliquée à l’électromagnétisme nous ramènera peut-être un millénaire en arrière, en Chaldée, à la sagesse des étoiles ? Peut-être l’astrologie obligera-t-elle la pensée humaine à retrouver ses principes dans les sciences exactes ? »

Nicholas Campion a défini un modèle astropolitique de Kepler 1) Niveau historique : étude des corrélations entre événements politiques et cycles planétaires 2) Niveau prédictif : étude des cycles planétaires afin de repérer les périodes critiques de tension politique 3) Niveau politique : prévenir les dirigeants des tumultes et des tribulations à venir : guerre civile ou guerre tout court. 4) Niveau programmatique : comment établir un plan d’action pour limiter les possibilités négatives.

Dans l’utopie astrologique de Kepler, les États parviennent à régler leurs dissensions par des réformes, par la propagande, ou par la répression, afin de prévenir toute révolution violente.

Dans sa Thèse 71, Kepler établit une corrélation entre des configurations planétaires et des événements politiques de son temps : ainsi, le massacre de la Saint-Barthélemy (1574) eut lieu lors d’une conjonction entre Mars et Saturne ; le siège d’Egri (1596) se produisit lors d’une opposition entre Jupiter et Mars. Ces conjectures prouvaient selon Kepler l’influence perturbatrice des étoiles qui pouvaient induire peur, espoir, révolte et dont l’étude s’avérait donc nécessaire « là où une multitude se réunissait, soit à des fins de construction ou de destruction. »

Chizhevsky s’avère là aussi très proche de l’astropolitique de Kepler. « Avant de prendre une décision, tout gouvernement devrait s’intéresser à l’état de la lumière : est-elle intense ? Claire ? Brumeuse ? Le soleil est à la fois un précieux général et un indicateur de police : ses informations sont universelles et infaillibles. »

En 1922, Chizhevsky prévoyait une activité solaire maximale pour la période 1927-1929 et donc, de profonds bouleversements politiques. Hasard ou pas, l’avenir devait lui donner en partie raison : en U.R.S.S., 1929 fut l’année du Grand Tournant, « God Velikogo Pereloma », selon l’expression de Staline, [qui annonçait la nationalisation forcée des terres], alors qu’en Occident, cette date coïncida avec celle du Krach et des débuts de la grande dépression.

« Astra inclinant, sed non obligant »

Kepler considérait l’astropolitique comme un instrument utile pour la gestion des affaires de l’Etat et pour préserver l’ordre social. « Dans ces mois où l’ennemi prépare quelque malveillance, il est nécessaire de préparer un remède adéquat pour préserver l’opinion publique et de tels remèdes sont à notre portée, car rien n’est totalement déterminé. »

De même, lorsqu’il spéculait sur les interactions entre les forces cosmiques et ce qui se déroulait sur terre, Chizhevsky se demandait : « Sommes-nous les esclaves du soleil, soumis à des courants électromagnétiques ? Oui, sans doute, mais cette soumission est relative car nous pouvons ôter nos chaînes, retrousser nos manches et œuvrer à notre salut. »

Le Soleil ne contraint personne absolument, mais il influe sur notre destinée. Mais l’humanité préfère ne pas y penser et se baigne dans son propre sang. « Pourquoi ne chercherions-nous pas plutôt à canaliser les impulsions qui nous viennent des profondeurs de l’espace ? Quelles perspectives s’ouvriraient alors à nous ? Alors, nous pourrions envisager d’être les acteurs d’une histoire consciente ? »

Chizhevsky prolongeait ainsi le « volontarisme astrologique » de Kepler : il existe toujours un moyen d’action pour changer la course des événements, malgré les forces naturelles à l’œuvre. C’est ce que les cosmistes russes appelaient « l’évolution active » et qui correspondait selon eux au besoin que l’humanité éprouvait pour un degré de conscience supérieur.

Néanmoins, comme le remarque Nicholas Campion, l’astrologie politique de Kepler préparait plutôt la voie à « la démocratie libérale du vingtième siècle et aux réformes progressives du socialisme, plutôt qu’à une révolution, et d’autre part, cette astropolitique ne devait pas survivre à la modernité et aux débats scientifiques de la fin du dix-septième siècle, lorsque l’astrologie perdit tout crédit. »

Un sort analogue attendait Chizhevski : son traité sur les facteurs physiques dans le développement historique tomba sous le coup de la censure marxiste qui l’interprétait comme une forme de déterminisme, à quoi l’intéressé répondit dans Le Pouls du cosmos : « le combat pour le soleil en valait la peine. J’ai dû me détourner d’autres recherches pour lui, cela m’a valu l’opprobre, on a exigé ma repentance mais si j’ai souffert comme Galilée, jamais je n’ai abusé de la science. »

En U.R.S.S., les conceptions de Chizhevsky demeurèrent sous le boisseau durant de longues décennies, étiquetées « science interdite », puis elles sombrèrent dans l’oubli. Le 22 janvier 1942, il fut arrêté sur base d’une fausse dénonciation de son colocataire qui souhaitait s’emparer de sa chambre. Ensuite, il fut envoyé dans une geôle du NKVD et il passa huit ans au goulag, avant d’être de nouveau exilé pour huit autres années.

« Les théories de Chizhevskhy constituent une pièce essentielle pour la macro-histoire ou Big History et la sociologie de longue durée : elles nous présentent l’hypothèse d’un univers auto-organisé et replacent les événements historiques dans la perspective de l’évolution du cosmos. » — V. V. Katutinsky (2004)

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