Ill. : Les Répétitions par Vladimir Charov. Source : Les Trois âges russes par Georges Nivat, éditions Fayard, relecture en cours 2015-2023
La vieille foi survécut à toutes les persécutions.
Jusqu’à leur interdiction par Nicolas Ier, il subsista dans le Nord de la
Russie deux communautés de monastères sans supérieurs, communautés d’hommes et
de femmes dites du Vyg et de la Leska qui fournissaient en livres manuscrits
les groupes et églises de la vieille foi clandestine.
On compta jusqu’à mille moines et moniales qui
recopiaient en plein dix-neuvième siècle les ouvrages liturgiques des
vieux-croyants, ceux-ci se refusant à utiliser les livres
« nikoniens » de l’orthodoxie officielle. Cette survie du livre copié
et enluminé longtemps après Gutenberg est un phénomène absolument surprenant.
Un collaborateur de la Maison Pouchkine, Alexandre Malychev, organisa des
expéditions ethnologiques dans les villages du Nord et surtout du Pomoré, la
côte de la Mer Blanche, où des familles de vieux-croyants conservaient des
livres manuscrits, mais où la soviétisation risquait fort d’entraîner la
disparition de ces objets du culte devenus très encombrants… Les ouvrages
enluminés collectés par Malychev sont un morceau de Moyen Âge en pleine
modernité ; ils symbolisent à l’extrême la double culture russe que nous
voulons montrer.
La vielle foi commence à intéresser dans la seconde
moitié du dix-neuvième siècle : Leskov et Melnikov-Petcherski sont les
chantres de cette foi populaire et clandestine, même si le second fut aussi, de
par ses fonctions, un de ses persécuteurs. Leskov en particulier a beaucoup
peint les dissidents religieux, le fuyard de son récit Le Bœuf musqué, les
pieux vieux-croyants de l’Ange scellé, histoire d’une icône miraculeuse de la
persécution infligée par les sbires de l’Église officielle, ou encore le
Pèlerin enchanté, chronique de la vie d’un serf en fuite qui traverse un nombre
prodigieux d’aventures, avant de trouver le repos dans un monastère.
Au même moment, Moussorgski écrit, sur un livret, qu’il confectionne lui-même, en consultant les archives, son opéra de la Khovanchtchina, qui met en scène la persécution du prince Khovanski, protecteur de la vieille foi et de la femme de boyard Morozova, dont le départ pour la Sibérie a inspiré un magnifique tableau à Sourikov en 1886. On y voit la princesse condamnée partir sur un traîneau de galériens au milieu d’un concours du peuple atterré par la perte de sa protectrice. Quant à l’opéra, il s’achève par des chœurs mystiques très émouvants des schismatiques réfugiés dans les forêts, cernés par les soudards de Pierre le Grand. Ils s’apprêtent à périr dans un autodafé.
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