Planète perverse

 

Source : Le dernier carnaval, Goya, Sade et le monde à l’envers, par Victor I. Stoichita et Anna-Maria Coderch, éditions Hazan, collection Bibliothèque, relecture en cours 2018-2023

La planche intitulée Des hauts et des bas, « Subir y bajar », montre un géant à pieds et à jambes de bouc, assis sur une surface courbe (qui pourrait être celle du globe terrestre lui-même), soutenant dans une gymnastique hardie un homme aux cheveux en flammes et dont chaque main tient du feu. L’équilibre instable de ce dernier est suggéré par des personnages tombant en chute libre de part et d’autre du géant. 

Un moment auparavant, ceux-ci se trouvaient sans doute à la place de l’homme se tenant maintenant debout. Une vague atmosphère de scénario de foire faisant jouer ensemble acrobates et cracheurs de feu semble pouvoir se deviner encore  aux origines lointaines de cette gravure. L’autre source, morale et historique, est dévoilée par les inscriptions explicatives, dont celle conservée dans le cahier du Prado est le plus proche de l’esprit de Goya.

« Monter et descendre. » La fortune traite très mal celui qui lui fait la cour. Elle fait payer la peine de monter avec de la fumée et punit celui qui est en haut avec la chute. » L’inscription nous révèle que cette gravure a été conçue (ou bien qu’elle a été considérée très tôt) comme une variante nouvelle d’un ancien motif. Elle souligne la futilité de toute ambition d’élévation et introduit la notion de « chute » comme « punition. » 

Deux autres commentaires anciens sur les Caprichos apportent des éléments nouveaux. Ils identifient l’homme-bouc avec la personnification de la luxure et le personnage en équilibre instable avec le premier ministre de Charles IV, Manuel Godoy. Bien davantage que les allusions politiques, possibles, mais toujours discutables, c’est le fait que la notion de « vice » sous la forme de la luxure soit intégrée dans le mécanisme de la roue de la fortune qui nous intéresse ici. Celle-ci n’est autre que le globe terrestre lui-même et le Vice est son habitant monstrueux.

C’est le point où intervient le marquis de Sade

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