Au centre du roman de Biély, La Colombe d’argent,
nous avons bel et bien la création d’un triangle sexuel, mais il est mortifère.
L’acte sexuel qui donnera naissance à l’enfant-messie de la secte des Colombes
est confié au jeune homme de la ville fait captif, Darialski. Le nom même du
personnage fiat penser à la « passe de Darial », unique voie entre le
nord et le sud du Caucase, c’est-à-dire entre Occident et Orient… Darialski
devait être le médiateur intellectuel, sexuel, onirique, mais il est conduit à
la mort pour avoir tenté le passage. Il personnifie la culture occidentale et a
été choisi pour ensemencer la compagne du charpentier chef de la secte,
autrement dit : l’envoyé de l’Occident doit ensemencer l’Orient, mais
mourir sitôt après. Il sera en effet piétiné à mort, durant la nuit, dans
l’étuve de la marchande où a lieu le coït sacré. Dans Le Jardin du rossignol
de Blok, écrit à la même époque, l’impuissance à pénétrer la clôture marque
l’échec et le héros abandonne la demeure mystérieuse, où l’objet du désir est
enfermé, et retourne auprès de son compagnon, l’âne. L’échec de la rencontre
Occident/Orient est un échec total, culturel, et sexuel et il s’est joué à
plusieurs reprises.
Georges Nivat : Les Trois âges russes
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