« Geworfenheit »

 

Source : La Gnose et l’esprit de l’Antiquité tardive, histoire et méthodologie de recherche, par Hans Jonas, présenté et traduit par Nathalie Frogneux, éditions Mimésis, collection L’Esprit des Signes

Il y a plus de néant que d’être dans l’agir qui se déploie uniquement en terre hostile et par conséquent l’être-au-monde humain devient un simple épiphénomène ignorant de sa véritable signification et de sa vérité. Pour le gnosticisme, être au monde, c’est être déchu. Partant, être temporel, ne signifie pas seulement être voué à disparaître, mais se découvrir aliéné et seul. Pour Jonas, « avoir été jeté » n’est pas simplement une description du passé, mais un attribut qui qualifie la situation existentielle telle que ce passé l’a déterminée.

La déchéance correspond à l’ignorance de notre être natif. L’appel du dehors par lequel ce qui est par-delà le monde fait irruption dans le cosmos saisit l’homme ivre du monde. Un messager étranger, hors-venu, apporte la gnose à celui qui devient dès lors gnostique. « L’appel est l’effectuation intramondaine de l’extra-mondanité, c’est-à-dire la forme dans laquelle le non-mondain lui-même devient mondain et un facteur, bien qu’un facteur complètement étranger, dans le monde. La dimension proprement eschatologique du gnosticisme fait que le but de l’effort gnostique est de délivrer « l’homme intérieur » des liens du monde, afin qu’il retrouve son royaume natal de lumière.

Au terme de ce processus, l’unité divine se trouvera restaurée par le rassemblement de ses étincelles qui équivaut à un retour à un état parfait de pureté au sein du Plérôme, le monde céleste de la plénitude. Ainsi, les destins humain et divin sont-ils intimement liés et leur aliénation est-elle corrélative. Pur épiphénomène de la théogonie, toute l’histoire du monde n’aura donc en quelque sorte pas eu lieu, indépendamment de l’agir humain. Pas davantage que la faute, le salut n’est le fait de la liberté humaine, puisqu’il repose sur la nature pneumatique, qui n’est en réalité que l’apanage d’un petit nombre.