Crépuscule des idoles

 

Ce qui faisait la spécificité de la Vierge au Pilier et de ses représentations picturales, à savoir son extrême verticalité, est ici déniée, la désacralisation et le renversement prenant la place de l’élévation. Dans cette gravure, la position horizontale réduit la statue à un simple objet, à un objet parmi d’autres. Il s’agit en effet d’une image déchue, abattue, privée de tout pouvoir et de toute consolation sacrée. En se renversant, l’idole révèle sa véritable nature : c’est un simulacre, un simple habit vide, sur un piédestal à roulettes, un pauvre mannequin de papier mâché, et rien de plus. Nous pouvons ici à juste titre dresser un parallèle entre cette critique de l’image sacrée et l’iconoclasme révolutionnaire qui, en France, avait mené à des phénomènes de vandalisme bien connu. Mais les différences sont révélatrices. Goya attire davantage l’attention sur le danger de la restauration (nous sommes en 1814-1829) que sur celui de la destruction d’images. Les personnages qui transportent cette statue sont des représentants de la noblesse et du clergé, et l’artiste nous dit que leur effort pour soutenir et réhabiliter l’ancien imaginaire contient un leurre puisque ce qu’ils proposent n’est que l’adoration d’une forme vide.

Victor I. Stoichita et Anna-Maria Coderch

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