Source : Ce qui n’a pas de prix, beauté, laideur et politique par Annie le Brun, éditions Fayard, collection Pluriel.
« L’œil humain
ne comprend pas ce qu’il est en train de regarder. » Remarque d’un des
premiers journalistes cherchant à rendre compte de ce que chacun peut éprouver
devant n’importe quel objet recouvert de Vantablack, cette couleur d’abord conçue
à usage militaire par l’entreprise britannique Surrey Nano Systems.
Car la
particularité de ce noir, plus noir que tous les noirs, obtenu à partir de
nanotubes de carbones trois mille cinq cent fois plus fins qu’un cheveu et
serrés les uns contre les autres telle une forêt est d’abord d’absorber la
lumière à 99,965% De là son extraordinaire capacité d’abolir les formes, les
contours et les reliefs, jusqu’à rendre quasiment invisible l’objet qu’elle
recouvre et par là même « déstabiliser l’œil humain. »
D’ailleurs qui
s’entêterait à vouloir quand même y discerner quelque chose ne verrait qu’un
trou noir à la place d’un volume, celui-ci serait-il le plus irrégulier
possible ; Plis, boursouflures, arêtes y sont tout simplement effacés,
sans qu’en subsiste la moindre trace. Que les militaires se soient
particulièrement intéressés à ce phénomène comme possibilité de camouflage
absolu ne peut surprendre. Appliquée sous forme de spray, cette couleur permet
en effet de se soustraire à tout contrôle satellite, « avions furtifs »,
drones comme n’importe quelle autre sorte d’armement.
C’est pourquoi l’acquisition à prix d’or de son monopole par Anish Kapoor, un des plus célèbres artistes contemporains, constitue un événement. Et même un événement hautement significatif de ce à quoi nous assistons depuis une vingtaine d’années, sans en prendre la mesure.
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