C’est atterrant de penser à ce qu’il est nécessaire
d’approfondir pour se mettre en état de déclarer avec compétence qu’on ne sait
rien ou presque rien des événements qu’on a entrepris de raconter. On saisit
quelques faits isolés, et c’est déjà une sorte de miracle, mais d’autres,
peut-être plus importants, et plus lourds de répercussions durables, échappent
à notre prise. Ils demeurent profondément cachés : non pas même perdus,
oubliés, anéantis dans la mémoire par la destruction de documents où ils
eussent pu être consignés, mais réellement imperceptibles à notre regard dès le
moment où ils se produisent, et destinés à ne nous être révélés que dans la
vision béatifique, lorsque nous aurons hérités de nos vrais yeux. La véritable
hiérarchie des faits dans le plan providentiel ne nous est pas plus connue que
notre « identité » personnelle, et elle est du même ordre ; car
ce qui importe, dans l’un et dans l’autre cas, ce sont des relations
innombrables qui, à travers les temps et l’espace, entre toutes les âmes
tissent la « trame d’éternité. »
Albert Béguin : Léon Bloy, l’impatient
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