Source : Léon Bloy, l’impatient par Albert Béguin, éditions Egloff (vintage 1944), relecture 2017-2023
Il est manifeste que tantôt Bloy croit à l’apparition
dans le cours de l’Histoire même d’un homme providentiel, qui viendra comme
toujours après les tumultes et les désastres, et tantôt à un miracle bien plus
confondant encore, comparable seulement à la Résurrection du Seigneur. On
dirait qu’il hésite à identifier dans le personnage qu’il « voit »
une nouvelle Jeanne d’Arc ou un nouveau Christ. Très souvent, c’est
incontestable, il a eu en vue une créature terrestre, ou bien un messager divin
qui en prendrait l’apparence. Il a songé à « l’inconnu » de ses vœux
comme à un héros providentiellement envoyé, et lorsqu’il parle d’un
« Chef », d’un « Libérateur », on ne peut l’entendre
autrement : c’est un vainqueur français dont il appelle la venue.
Mais les expressions dont il le désigne prouvent assez
que, le plus fréquemment, il ne le conçoit pas d’une façon aussi simple. Dans
les moments où il invoque ainsi, douloureusement, le sauveur de sa patrie, il
cède à cette tentation d’autrefois, qui lui avait fait croire qu’il allait
assister bientôt, le lendemain, aujourd’hui même, lui, Léon Bloy, à quelque
prodigieux événement. Cette fois encore, l’ancienne espérance le reprend, quand
il certifie que ce libérateur est déjà venu, « qu’il est ici ou là, très
loin ou très près », et que « nous lui avons peut-être serré la main
sans savoir » (lettre à Pierre Termier, 28 janvier 1915) Serait-ce enfin
l’accomplissement des promesses de Véronique, qui devaient se réaliser durant
la vie de Bloy.
Il tressaille à cette pensée.
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