Il y a chez lui, ce regard des maniaques tournés en
dedans qui brille comme au fond d’un trou. Pour ce regard aussi, plus rien
n’existe ni à droite, ni à gauche, on a l’impression que l’homme fonce vers un
but inconnu. « J’ai constamment la mort à mes côtés » et, disant
cela, il semble montrer du doigt, à côté de son fauteuil, un petit chien qui
serait couché là. Il dit combien il est surpris, stupéfait que nous, soldats,
nous ne fusillions pas, ne pendions pas, n’exterminions pas les Juifs, il est
stupéfait que quelqu’un disposant d’une baïonnette n’en fasse pas un usage
illimité.
« Si les bolcheviques étaient à Paris, ils vous
feraient voir comment on s’y prend : ils nous montreraient comment on
épure la population quartier par quartier, maison par maison. Si je portais la
baïonnette, je saurais ce que j’ai à faire. » J’ai appris quelque chose à
l’écouter parler ainsi deux heures durant, car il exprimait de toute évidence,
la monstrueuse puissance du nihilisme. Ces hommes-là n’entendent qu’une
mélodie, mais singulièrement insistante : ils sont comme des machines de
fer qui poursuivent leur chemin jusqu’à ce qu’on les brise.
Il est curieux d’entendre de tels esprits parler de la
science, par exemple de la biologie : ils utilisent tout cela comme
auraient fait des hommes de l’âge de fer ; c’est uniquement un moyen de
tuer les autres.
Ernst Jünger : Journal parisien, cité par Philippe Alméras
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