Gogol 88

 

Il y a chez lui, ce regard des maniaques tournés en dedans qui brille comme au fond d’un trou. Pour ce regard aussi, plus rien n’existe ni à droite, ni à gauche, on a l’impression que l’homme fonce vers un but inconnu. « J’ai constamment la mort à mes côtés » et, disant cela, il semble montrer du doigt, à côté de son fauteuil, un petit chien qui serait couché là. Il dit combien il est surpris, stupéfait que nous, soldats, nous ne fusillions pas, ne pendions pas, n’exterminions pas les Juifs, il est stupéfait que quelqu’un disposant d’une baïonnette n’en fasse pas un usage illimité.

« Si les bolcheviques étaient à Paris, ils vous feraient voir comment on s’y prend : ils nous montreraient comment on épure la population quartier par quartier, maison par maison. Si je portais la baïonnette, je saurais ce que j’ai à faire. » J’ai appris quelque chose à l’écouter parler ainsi deux heures durant, car il exprimait de toute évidence, la monstrueuse puissance du nihilisme. Ces hommes-là n’entendent qu’une mélodie, mais singulièrement insistante : ils sont comme des machines de fer qui poursuivent leur chemin jusqu’à ce qu’on les brise.

Il est curieux d’entendre de tels esprits parler de la science, par exemple de la biologie : ils utilisent tout cela comme auraient fait des hommes de l’âge de fer ; c’est uniquement un moyen de tuer les autres.

Ernst Jünger : Journal parisien, cité par Philippe Alméras

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