Devolution

 

Source : La Gnose et l’esprit de l’Antiquité tardive, histoire et méthodologie de recherche, présenté et traduit par Nathalie Frogneux, éditions Mimésis, collection L’Esprit des Signes

Cet esprit de l’Antiquité tardive se traduit au sein d’un modèle spéculatif correspondant à la chaîne ontologique : sous la forme d’une « dévolution » ou évolution descendante de l’être du supérieur vers l’inférieur ; à l’espace correspond le temps ; ce qui est inférieur est aussi ultérieur. La polarisation très forte de Dieu et du monde implique une tendance à abandonner le monde. Ce schéma des penseurs alexandrins est proche de celui de la gnose émanationniste ou à base moniste et particulièrement de sa forme culminante, la pensée valentinienne.

La définition du motif central du gnosticisme comme dévolution et dépréciation du monde souligne une dimension purement négative : le mouvement de dé-création que devra compenser une ascension, corrélative de la descente et de la chute, du naufrage (sinking) du Divin qui devient dans les systèmes spéculatifs celui de l’être ou de l’Un. Entre ces deux pôles, l’origine (passée) et la restauration (future) de l’être, l’état intermédiaire (présent) de l’âme s’avère être au mieux une parenthèse d’incomplétude, au pire une dépravation démoniaque. L’Âme au sens large représente une condition déchue par rapport à l’Esprit originaire, dans la descente universelle de l’Être.

À la différence de l’âme hypostase gnostique, c’est-à-dire substantielle et mondaine, l’âme dans ces systèmes métaphysiques émanationnistes de type gnostique est en position intermédiaire ou  dérivée à partir du pneuma ou des purs esprits. Plutôt que substantielle, la matière elle-même est le résultat d’une erreur divine ou d’un défaut ontologique qui engendre la réification de son état d’aliénation. L’affection mondaine et temporelle de la divinité ou de l’Être, comme son extériorité, demeurent révocables, puisque le double mouvement d’éloignement et de restauration, d’accident et de recouvrement, de chute et de rédemption, s’inscrit à l’intérieur même de l’histoire de l’être. À cette échelle, l’aventure mondaine ne compte pas.

Aussi assiste-t-on dans l’Antiquité tardive à une véritable inversion de la valence classique. En deçà des sectes et des écoles gnostiques classiques du deuxième et troisième siècle, Jonas décèle une pensée de type religieux et eschatologique qui se laisse caractériser par quatre tendances communes : les phénomènes de la vague orientale qui gagnent l’Occident sont de nature intrinsèquement religieuse ; ces courants religieux sont essentiellement sotériologique ; la conception de Dieu y est transcendante à l’extrême ; ils conçoivent un dualisme radical des « royaumes de l’être », le monde divin et le lieu de la vie humaine.

À la croisée du judaïsme et hellénisme, le christianisme et la pensée de Philon d’Alexandrie tombent ainsi dans le champ de ces religions transcendantes eschatologiques, marquées par le gnosticisme. 

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