Source : L’Apocalypse de Jean par Michèle Morgen, in. Magazine littéraire n°232, juillet août 1986, Les Écrivains de la fin du monde.
Les apocalypses décrivent les conflits de pouvoir à
l’aide de figures animales. Le bestiaire de l’Apocalypse de Jean est
varié : chevaux, grenouilles, sauterelles, scorpions… Les figures animales
majeures sont l’Agneau, les Deux Bêtes et le Dragon. L’agneau immolé, qui se
tient debout, représente le Messie victorieux, le Christ. Pour tout chrétien de
l’époque, l’évocation est évidente : le Christ a remporté la Victoire par
sa passion et sa résurrection. Les Bêtes opposées à l’Agneau représentent le
pouvoir terrestre dans ce qu’il a de maléfique.
L’une des Bêtes monte de la mer, royaume par excellence
des forces sataniques. Elle symbolise probablement le pouvoir de l’impérialisme
romain. L’autre Bête, entièrement au service de la première, revêt les traits
du faux prophète : elle correspond probablement à la pression sociale
exercée à l’encontre des chrétiens, afin de les détourner de leur religion. Les
deux Bêtes parodient l’Agneau. Il est possible donc de découvrir un référent
précis symbolisé par les deux Bêtes, mais l’auteur de l’Apocalypse entend
surtout montrer comment les Bêtes sont les formes terrestres que prend le Mal.
Dieu lui-même n’est pas représenté par une Bête : l’Apocalypse de jean
échappe au mythe.
La figure du dragon, par contre, cristallise toute
l’hostilité à Dieu. Il est le contre-pouvoir divin par excellence, le Mal dans
sa forme générique. L’intention théologique de l’ouvrage, au travers de ce
symbolisme animal, est très profonde : encourager les chrétiens, parce
qu’ils ont l’assurance de la victoire, à lutter contre le Mal sous ses
différentes formes. L’auteur appelle les chrétiens au discernement : prêtez
attention au chiffre de la Bête ! Mais, victoire acquise ne signifie
nullement passeport automatique pour le ciel. La liberté de l’homme croyant
entre ici en ligne de compte : d’une certaine manière, on peut dire que le
chrétien coopère à l’œuvre de salut entreprise par Dieu.
Le langage chiffré de l’Apocalypse de Jean constitue un
véritable code. Retenons quelques chiffres. Le chiffre 4, chiffre cosmologique,
renvoie aux quatre points cardinaux. Il correspond au chiffre de la terre,
évoquant la création. Le chiffre 3, à l’inverse, fait référence au monde
céleste. C’est le chiffre du sacré, du monde de Dieu, évoquant tout à la fois
le multiple et l’un. Pour signifier la totalité, la perfection, l’apocalypse,
dans la ligne de la tradition juive qui a sacralisé ce chiffre, utilise le
chiffre 7. Des combinaisons étonnantes : ainsi, 7 = 4+3 pour dire la
rencontre entre le terrestre, la création (4) et le sacré (3) Ou encore, la
moitié de sept = trois et demi correspond au temps limité que Dieu laisse au
pouvoir de Satan.
Il est tentant dès lors de structurer l’Apocalypse de
Jean en sept septénaires. On y arrive certes, mais avouons-le, en forçant un
peu le texte. Le chiffre 7 joue un rôle prédominant dans l’ensemble de
l’Apocalypse de Jean. En effet, outre les sept lettres adressées aux sept
églises au début du livre, les septénaires sont relativement nombreux :
sept tonnerres, sept anges… Trois septénaires sont particulièrement développés,
et le chiffre 3 n’est pas un hasard : l’ouverture des sept sceaux, le
retentissement des trompettes, les sept coupes qui sont versées ; soit
trois septénaires emboîtés les uns dans les autres pour dire la révélation de
Dieu.
Le rythme de chaque septénaire est souvent de 4/3. Le
septième élément, particulièrement important, occupe une place originale. Il se fait toujours attendre. De
plus, dans les deux premiers septénaires, le septième élément contient dans sa
globalité le septénaire suivant. Ainsi, le moment de l’ouverture des sceaux
correspond au septénaire des trompettes. Trois fois, de manière différente, par
ces septénaires majeurs, la même chose est dite ; la révélation ; la
manifestation du Jugement. Mais, contrairement à certaines idées reçues, dans
l’Apocalypse de Jean, le jugement ne tombe pas ex abrupto du Ciel.
Le troisième septénaire majeur, celui des coupes qui
sont versées, dit le parachèvement : « C’en est fait » est-il
répété. Et pourtant, la fin de ce septénaire dont les différents éléments se
succèdent à une vitesse vertigineuse ne correspond pas à la fin de l’Apocalypse.
Avec ce troisième septénaire s’ouvre au contraire une double
perspective pour l’auditeur de la Révélation : la femme-ville
Babylone, la Prostituée, c’est-à-dire la personnification de l’idolâtrie ;
la femme-ville Jérusalem, l’épouse de l’Agneau, c’est-à-dire l’Église dans sa
fidélité au Christ, la Nouvelle Cité de Dieu. Dans de nombreux textes
bibliques, la femme évoque la communauté d’Israël. Le chapitre 12 de
l’Apocalypse de Jean fait également référence à la situation de l’Église face
au Dragon, et pour ce faire, il utilise la figure de la femme.
La perspective finale de l’Apocalypse de Jean s’ouvrant sur ces deux figures de femmes-villes nous semble particulièrement intéressante. Parler de la Révélation de l’Apocalypse ce n’est pas seulement dire ce qui ce passe du côté du destinataire. L’Apocalypse de Jean commence par une adresse à l’Église et se termine par là, en la sommant de se décider. On peut en fait distinguer : une partie introductive, sous forme de 7 lettres adressées aux 7 églises, à toute l’Église, et sur les conséquences qu’entraîne son choix : ou bien le péché et c’est la ruine de Babylone ; ou bien la fidélité et c’est la réponse à l’Agneau.
L’Apocalypse de Jean n’est donc pas un ouvrage qui contient des prophéties sur les catastrophes à venir. Son auteur est un théologien qui invite déjà à son époque, et peut-être encore aujourd’hui, à une lecture interactive : comment les croyants, dans le monde qui est le leur, disent-ils la manifestation de Dieu ?
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