Belle Époque

 

Source : Je suis le bouc, Céline et l’antisémitisme, essai, par Philippe Alméras, éditions Denoël, relecture 20 ans après.

Les reconstitutions filmées d’une « Belle époque », aux beaux uniformes et gentils adultères qui combinent grands sentiments et parties fines ont fait oublier ces mœurs brutales. « Ferme tes jolis yeux car la vie n’est qu’un rêve. » Le Céline âgé qui travaille à un nième projet d’adaptation à l’écran du Voyage au bout de la nuit se remémore ces sucreries avec ironie. Et sans doute une part de regrets car il n’a jamais tout à fait quitté ce temps-là qu’il revisite dans ses premiers « romans. »

Cette matière épuisée, il est curieux de voir comment il y ramène ce qui suit. Il transforme par exemple son arrestation par la police de Copenhague en décembre 1945 en épisode feuilletonnesque façon 1900 : « arrestation burlo-comique ! par les toits ! Cavalcade entre les cheminées ! Fort commando de flics, revolvers au poing ! » (D’un château l’autre) Le dialogue à travers la porte avec la police prise pour les « vengeurs » se transforme en image pour Le Petit Journal, une arrestation de « monte-en-l’air » ou de « rats d’hôtel » par la police de Lépine.

Cela devient tellement « vrai » que les rédacteurs de l’Encyclopédie danoise prennent au pied de la lettre cette fiction parisienne et que, dans les années quatre-vingt les occupants des lieux racontaient encore la transposition célinienne qui superposait des toits haussmanniens aux toits de Copenhague qu’ils avaient sous les yeux et où ni poursuivants ni poursuivis n’auraient pu se tenir ni encore moins cavalcader.

La fiction célinienne l’emporte sur les faits attestés par les rapports de police et les comptes rendus de journaux.

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