Ses amis n’ont guère osé s’avancer un peu plus. Et
Degas lui-même a toujours contourné le sujet. Sur lequel vienne se poser comme
une lame de lumière oblique et cruelle les mots d’une lettre de Berthe Morisot
à sa sœur Edma : « Quant à ton ami Degas, je ne lui trouve décidément
pas une nature attrayante : il a de l’esprit et rien de plus. Manet me
disait hier très drôlement : il manque de naturel, il n’est pas capable
d’aimer une femme, même de le lui dire, ni de rien faire. » C’était en
1869. Ayant quitté les sujets historiques, Degas était déjà peintre de jockeys
et de chevaux sur les champs de course. Il deviendrait bientôt le peintre qui
savait, plus que tout autre, surprendre le naturel clandestin dans les gestes
féminins. Il savait comment une femme essuie ses doigts de pied : comment
elle bâille quand elle repasse ; comment elle met le pied sortant du bain.
Mais Degas ne savait pas ce que signifie se réveiller dans le même lit qu’une
femme et si cela lui est arrivé, il a dû s’échapper très vite. Aucune des
personnes qui le connaissent n’a pu lui attribuer une liaison, même fugitive.
Roberto Calasso : La Folie Baudelaire
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