Silling

 

Sade souligne que le soir du 29 octobre, jour de l’arrivée des libertins, le maître des lieux « fit couper le pont de la montagne sitôt qu’ils furent passés » et que, de plus, « afin de prévenir les attaques extérieures peur redoutées et les évasions intérieures qui l’étaient davantage », on fit murer « toutes les portes par lesquelles on pénétrait dans l’intérieur », pour « s’enfermer absolument dans la place comme dans une citadelle assiégée, sans laisser la plus petite issue soit à l’ennemi, soit au déserteur », jusqu’à ce qu’il ne devînt « même plus possible de reconnaître où avaient été les portes. »

Il s’agit bien sûr d’un processus de déréalisation qu’on retrouve dans tous les romans noirs du seizième siècle mais qui n’y est jamais mené avec cette rigueur implacable puisque, ici, en quittant la ville, on quitte avec le temps des autres hommes la réalité historique ; en quittant le dernier hameau, on quitte le dernier reste de réalité sociale ; en quittant la montagne, dont la cime est « si tellement insurmontable qu’il n’y avait plus que les oiseaux qui puissent la franchir », on quitte toute réalité humaine.

enfin, en quittant « le chemin du pont », détruit une fois passé, de sorte « qu’il n’y a plus un seul habitant de la terre ou de quelque espèce qu’on veuille le supposer, à qui il devienne possible d’aborder la petite plaine » où se trouve le château, on quitte simplement la réalité pour basculer dans l’irréalité d’un lieu qui devient le monde, ou plus exactement le cœur enfoui du monde.

Annie le Brun : On n’enchaîne pas les volcans

Commentaires