« Personne ne voulait publier un truc pareil »

 

Source : Ossip Mandelstam, chanter jusqu’au bout, biographie par Jean-Luc Despax, éditions Aden, collection Le Cercle des poètes disparus, dirigée par Robert Bréchon

Le Bruit du temps résonne comme un moulin électrique. Mandelstam tente de relancer son manuscrit, qui n’a toujours pas été publié, et qui ne le sera qu’à la mi-avril 1925, aux éditions Vremia. Le texte, qu’il a sous-titré « Mémoire » a été commandé par Isaïe Lejnev pour la revue Rossia. Mais Lejnev est déçu, il ne s’attendait pas du tout à cela, refrain que Mandelstam connaît maintenant depuis un bout de temps, au point que l’on se demande s’il ne compose pas ses textes dans l’attente de cette réponse.

Pourparlers avec Tikhonov, qui échouent, puis avec Abram Elfros qui lui précise qu’on attend autre chose de lui. Il le propose au bolchevique de la première heure, Alexandre Voronski qui avait édité le Deuxième Livre et dont il espère un geste positif puisque après tout son journal littéraire Kranaïa Nov, est la tribune des compagnons de route. Mais non, décidément non, le livre déroute trop : il dérange, avec ses réminiscences que personne ne veut voir. Nadeja : « J’avais par hasard entre les mains une grande enveloppe, et j’y fourrai les feuilles de brouillon qui y restèrent pendant des années. »

L’exemplaire mis au net errait d’un comité de rédaction à un autre, et personne ne voulait publier un truc pareil, sans sujet, ni intrigue, sans point de vue de classe et sans portée sociale. Guerogui Blok, le cousin germain du poète, qui travaillait dans une maison d’édition privée, qui vivotait paisiblement, s’y intéressa. À ce moment-là, Mandelstam avait déjà laissé tomber toute l’affaire… le livre parut, mais le manuscrit disparut, sans doute chez Blok lui-même lors de son arrestation. On ne veut pas de son enfance. Lui a une envie d’insouciance, de recommencement, l’envie d’y croire pour que les matins lui semblent un peu plus légers à porter. Ils n’auront pas d’enfant, avec Nadeja, se faisant tous deux à l’idée que l’on ne peut confier une vie innocente à de pareils temps. Cela ne tue pas l’envie de la page blanche, d’innocence.

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