Le monde de Sade a le pouvoir de faire trébucher sur
son propre reflet qui s’y aventure. Car on y court toujours le risque majeur
d’y découvrir l’image de ce que l’on est, soudain prise au piège de sa mise en
scène infinie. Et c’est pourquoi il paraît bien difficile de tricher avec Sade,
quand, à son contact, chacun ne trouve que ce qu’il apporte, avec, de surcroît,
l’assurance de finir par le perdre. Comme si, pour lui, la souveraineté ne
pouvait être acquise que de ce vertige qui n’assure pas plus la position du
sujet que de l’objet, mais entraîne l’un à tendre vers l’autre, et
réciproquement. Comme si, pour lui, la conscience ne pouvait être atteinte
qu’au plus loi de la maîtrise.
Système optique, système scénique ? Pour Sade,
rien n’est moins abstrait. Mieux, chez lui, l’illusion qui nous gouverne
renvoie toujours à la matière vivante. Telle est l’évidence qui le sépare de
Lichtenberg. Car, au cœur de son dispositif de reflets, il y a le corps et sa
scène miroitante à l’infini. C’est en cela que Sade est unique. Et, par là, on
comprend pourquoi il n’a jamais cédé sur sa façon de penser. Elle seule possède
l’extraordinaire mérite de sans cesse révéler son origine organique, en
montrant comment le fonctionnement du désir anticipe celui de toute
représentation, et, partant, de toute morale.
Annie le Brun : On n’enchaîne pas les volcans
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