Source : On n’enchaîne pas les volcans par Annie Le Brun, éditions Gallimard.
Révolution sans équivalent. Jamais encore la pensée ne
s’était ainsi aventurée, là où elle semble disparaître, pour découvrir ce qui
la fonde, à la source physique de ses reflets. La voilà, la philosophie soudain
mise dans un boudoir, qui ne va plus arrêter de s’approfondir en théâtre sans
fond, où, pour la première fois, l’illusion se fait chair et la chair se fait
illusion.
En ce sens, Sade n’est pas plus un philosophe de la
nature qu’un philosophe de la négation, comme on continue de le prétendre. De
toute manière, il n’est sûrement pas un philosophe parce que fondamentalement
sa démarche n’a rien de conceptuel. Reste que s’il reconnaît la nature comme
certains de ses contemporains philosophes, c’est sans doute pour la nier, mais
s’il la nie, c’est autant pour la défier que pour la doubler, à tous les sens
du terme.
Et s’il la double, c’est sûrement moins afin de tout
nier qu’afin d’ouvrir un espace inconcevable avant lui, à peine concevable
après lui, un espace mental débarrassé non seulement de l’idée de Dieu mais
aussi de ce qui toujours revient nourrir la religiosité sous toutes ses formes,
pour occulter l’infini qui nous hante. Espace d’une béance première, de
laquelle tout peut surgir mais que rien ne peut colmater ni réduire.
Et surtout pas concept ou logique, celle-ci serait-elle oblique, transversale ou perverse. J’ai déjà dit combien il fallait être redevable à Sade, non pas de nous donner des idées, mais de nous en enlever, de nous défaire de tout ce qui sert à nous tromper sur ce que nous sommes.
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