Cité-miroir

 

Si même je dois scandaliser, je dois dire ma conviction que cette domestication, sous-jacente à l’humanisme sans programme qu’on nous inflige, est déjà à l’œuvre dans la promotion, comme spectacle et comme norme, du corps victimaire. D’où provient, en effet, qu’aujourd’hui, il ne soit si lourdement question de l’homme que sous la forme du supplicié, du massacré, de l’affamé, du génocidé ? Sinon de ce que l’homme n’est plus que la donnée animale d’un corps dont l’attestation la plus spectaculaire, la seule qui soit vendable, et nous sommes dans le grand marché, on le sait depuis les jeux du cirque, est la souffrance ? Disons que ce que les « démocraties » contemporaines cherchent à imposer à la planète est un humanisme animal. L’homme n’y existe que comme digne de pitié. L’homme est un animal pitoyable. Avec une touche « éthique », car de quoi s’inquiéter à propos d’une espèce, sinon de sa survie ? Écologie et bioéthique pourvoiront à notre « devenir » correct de cochons ou de fourmis.

Alain Badiou : Le Siècle

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