« Avant qu'arrivent les années dont tu diras : je n'y prends point de plaisir »

 

Source : Ossip Mandelstam : mon temps, mon fauve, une biographie par Ralph Dulti, éditions Le Bruit du Temps, traduction de l’allemand par Marion Graf, revue par l’auteur, collection La Doagna.

Le nom de Mandelstam vient du fruit, du noyau de l’amandier et il évoque une réminiscence biblique, un signe d’élection : le souvenir du bâton d’Aaron (Nombres, 17). Aaron, appartenant à la tribu de Lévi, avait été élu premier grand prêtre, son bâton, parmi douze autres, ayant été le seul à porter des fleurs et des amendes : « Le lendemain, Moïse entre dans la tente de la charte et voit que le bâton d’Aaron de la maison de Lévi a bourgeonné. Il a fait bourgeonner un bourgeon. Il a fait fleurir une fleur. Il a fait amender une amande. »

Dans un poème de 1914, consacré au dernier poète dramaturge du classicisme russe, Vladislav Ozerov (1770-1816), Mandelstam fait allusion à cette scène, sans nommer ni Aaron, ni l’amandier : « Fleurit alors, comme le bâton dans la tente des prophètes / chez nous, la grande tristesse solennelle. »

Dans l’Ancien Testament, l’amandier, avec ses fruits tantôt doux, tantôt amers, joue un rôle important. Dans le livre de l’Ecclésiaste ou des Sagesses de Salomon (12, 5), il est un symbole des temps de chagrin à venir. Salomon exhorte à penser au Créateur, ainsi qu’à la vieillesse et à la mort : « Ce sera terreur dans la montée / terreur sur le chemin / l’amandier blanc de l’hiver / la sauterelle engourdie / la câpre éclatera / car l’homme s’en va / vers sa maison dans l’éternité / les pleureuses tourneront dans les rues. »

La floraison de l’amandier est traditionnellement associée aux cheveux blancs de la vieillesse. Dans un poème politique de mai 1933, où Mandelstam fustige la famine qu’inflige aux paysans ukrainiens la collectivisation de l’agriculture imposée par Staline, l’amandier surgit, symbolisant le deuil de la nature : « Les arbres aux bourgeons à peine éclats / Sont là comme des intrus et l’on plaint /  l’amandier paré de sa naïveté d’hier. »

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