Source : Ossip Mandelstam, chanter jusqu’au bout, biographie par Jean-Luc Despax, éditions Aden, collection Le Cercle des poètes disparus, dirigée par Robert Bréchon
Il n’aura cessé au fond de subir des vexations. Cela
prouve au moins que, pour quelque temps encore, il est toujours vivant. Il s’en
sort par un petit poème de circonstance.
« Tout au bord de la mer Égée / Vivent les
Archiviens / Un peuple très ancien / Qui s’adonne à un ignoble métier / L’achat
des archives privées / Du frisson sacré de la feuille / D’odieux bruissements
de papier / Ils se nourrissent… Et voilà / Ils vont nus, sans estime et seuls /
Pourquoi font-ils cela ? »
L’époque est cinglante, en témoigne l’épisode de la
claque en retour. Mandelstam gifle, autour du 6 mai 1934, à la maison d’édition
des Ecrivains de Leningrad, Alexis Tolstoï qui, juge d’un « tribunal de
camarades », on s’en souvient, n’avait pas soutenu sa femme Nadeja en
septembre 1932, quand elle avait été giflée elle-même par un autre écrivain
Borodine, pour une histoire de dettes.
S’il faut décidément se suicider en deux temps, puisque
l’épigramme à Staline n’a pas suffi, va pour la gifle ! Tolstoï est devenu
entretemps le thuriféraire de Staline. Il a participé à l’élaboration d’un
recueil de contributions de plus de 400 pages à la gloire de Staline, mais
aussi du chef de la police Yagoda, et des Tchékistes qui ont su canaliser
l’énergie des ennemis sociaux pour édifier très vite le canal qui relie la mer
Blanche à la mer Baltique… baptisé Staline. Gloire aux camarades rééducateurs.
Giflé, Tolstoï hurle : il fera interdire Mandelstam dans toutes les maisons d’édition, les revues, il le fera expulser de Moscou. Il court déposer plainte auprès de Maxime Gorki, ami de Lénine et à présent de Staline, qui exerce des responsabilités de premier plan dans le milieu littéraire. Gorki lui aurait répondu : « Nous allons lui apprendre à frapper des auteurs russes. »
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